Voir loin, agir proche
LA FRANCE EST NOTRE PATRIE,
L’EUROPE EST NOTRE AVENIR
L’Union Européenne a fêté ses cinquante ans à Berlin. Ce n’est pas la déclaration finale qui m’a impressionné : elle était incolore, inodore et sans saveur comme un communiqué d’un sommet du G8. Ce que j’ai aimé, c’est la photo de famille : un bouton d’or au milieu de deux douzaines de croque-morts. Angela Merkel, vêtue d’une des teintes du drapeau national, rayonnait au milieu de tous ces messieurs endimanchés. Je me suis dit qu’il était urgent qu’une deuxième femme vienne redonner des couleurs à l’Europe.
Angela Merkel et Ségolène Royal peuvent déployer ensemble ce qu’il faut de ténacité et de sens du concret pour revivifier le projet européen, qui est en piteux état depuis le NON français au référendum sur le Traité Constitutionnel. Ce serait un couple franco-allemand inédit mais probablement efficace. La crise européenne de 2005 n’est pas due seulement au manque d’engagement du président français, ni à la traîtrise de quelques-uns. Elle a été la révélation d’une défiance profonde des couches populaires à l’égard d’un projet inintelligible et potentiellement dangereux.
L’Europe, créée autrefois comme ferment de paix et de prospérité, est devenue la cause principale de l’insécurité sociale qui angoisse nos compatriotes. Elle est assimilée à la mondialisation responsable de tous les maux de l’emploi : elle a pris le visage redoutable des délocalisations et des concurrences à bas prix aux industries traditionnelles. Elle ronge les services publics de l’électricité, du gaz, des transports en les soumettant à concurrence. Elle contraint à limiter les déficits et donc les dépenses publiques. Elle est invoquée par des gouvernements peu courageux dès que survient une difficulté. Les agriculteurs eux-mêmes, qui sont les grands bénéficiaires des largesses de Bruxelles, trouvent que ce n’est jamais assez.
Ce ne sera pas une mince affaire de relancer le château ambulant de l’Europe par des actions concrètes dans les domaines de la recherche, de l’éducation, du co-développement Nord-sud, de l’environnement : Ségolène Royal veut une Europe par la preuve, comme condition nécessaire pour remettre en chantier la réforme des institutions européennes et pour réaffirmer les valeurs du « modèle social européen ». D’autant que certains pays d’Europe de l’Est se voient bien en États satellites des Etats-Unis. On peut les comprendre si l’on se souvient de Munich (1938), où l’Europe de l’Ouest les a livrés pieds et poings liés à l’ogre hitlérien. Le monde d’aujourd’hui n’est pas vraiment exempt de menaces et la création d’une capacité européenne de défense n’avance qu’à très petits pas. Et le gros matou britannique ne voit que des avantages à la déliquescence de l’Europe puissance.
François Mitterrand disait : « la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir ». Comme l’avenir européen est bouché à court terme, on comprend que les candidats se concentrent sur l’espace national. Le candidat de l’UMP flirte avec les thèmes xénophobes : un Ministère de l’Identité Nationale et de l’immigration ! Ségolène Royal, au contraire, réchauffe les valeurs à la fois françaises et universelles de la Révolution et de l’héritage républicain. À son évocation de la « Nation », concept qui a été mis à toutes les sauces, je préfère personnellement celui de « Patrie ».
La patrie est en danger ! Elle n’est pas envahie par des puissances étrangères. Elle est menacée de l’intérieur par le travail de sape de l’individualisme marchand (« chacun pour soi ») et surtout par la perte collective de confiance. Quand trois Français sur quatre craignent de devenir « Sans Domicile Fixe » dans un pays qui n’a jamais été aussi prospère, ce « ressenti » (barbarisme à la mode) est vraiment tragique.
Quand les jeunes frappent à des portes fermées pour trouver un travail stable et un logement et qu’ils se découragent, il en résulte une langueur sociale très préoccupante. Dans un dernier sursaut, les jeunes se sont massivement inscrits sur les listes électorales, pour donner une dernière chance à la République, quel que soit son matricule, cinquième ou sixième. Si le prochain quinquennat les déçoit, ils quitteront le terrain politique et laisseront le champ libre à un électorat de plus en plus âgé et timoré, séduit par le conservatisme, voire par le populisme.
Alors, que faire ?
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Ségolène Royal réchauffe l’amour de la Patrie, concept qui fait certainement sourire les petits marquis et les grands ducs de notre aristocratie publique et privée. Dans la déprime ambiante, elle ne cherche pas des boucs émissaires : les étrangers, les immigrés, les jeunes des banlieues. Elle veut recréer l’unité du pays en respectant sa diversité et en hissant ses symboles : le drapeau tricolore et la Marseillaise. En rappelant aussi le souvenir de ceux qui sont morts pour ces symboles (et de ceux qui ont organisé les déportations au camp des Mille). Face à ceux qui déclament que la crise vient des trente-cinq heures, comme la droite vichyste attribuait l’étrange défaite de 1940 aux congés payés, elle exalte les modestes et les sans-grade qui sont entrés dans la Résistance, dans un pays où l’élite attendait prudemment de voir dans quel sens les événements allaient tourner.
Comme elle sent bien que ces appels patriotiques séduiront davantage les parents que les enfants, elle déroule tout un ensemble de mesures très concrètes et très ambitieuses pour les jeunes. Elle le fait pour l’école, tout en ménageant (trop ?) les enseignants, dont une fraction substantielle est résolument conservatrice (parmi les hommes de plus de quarante ans !). Mais on peut espérer que les profs de l’enseignement public et laïc ne voteront pas trop nombreux pour le candidat de l’extrême-centre (rire ?) qui a certes l’avantage de promettre un avenir immobile mais dont la seule prouesse, quand il était Ministre de l’Éducation nationale, a été de redorer le blason de l’enseignement privé. Quant au candidat de l’UMP, la mise en garde à vue d’une directrice d’école, qui protégeait ses gosses et un brave grand-père chinois sans papier, aura convaincu les enseignants que « tout est possible », surtout le pire.
Ségolène fait aussi du premier emploi des jeunes une priorité absolue, avec des emplois-tremplins et des aides massives aux petites entreprises qui embauchent.
Il y a un dernier point, qu’a rappelé le sage Jacques Delors : nos maux ne viennent pas de l’extérieur (l’Europe) et les solutions ne viendront pas non plus de l’extérieur (l’Europe). Le gouvernement français a une maîtrise totale de la façon dont on dépense l’argent public et il a conservé une autonomie notable sur le mode de prélèvement des impôts et cotisations sociales.
Même Ségolène Royal n’explique pas clairement qu’il faudra revenir à l’équilibre des comptes de l’État et de la Sécurité sociale, non pour faire plaisir à Bruxelles mais parce que les Français sont suffisamment intelligents pour sentir que l’on ne pourra pas continuer longtemps à dépenser plus qu’on ne gagne. La gestion à crédit pour couvrir des dépenses courantes est un facteur du sentiment d’insécurité sociale.
Du côté des dépenses, on ne pourra guère dépenser plus mais on pourra dépenser autrement. Il faudra avoir le courage de dire quels budgets devront être réduits pour couvrir les efforts d’éducation et d’emploi en faveur des jeunes. Et bien évidemment les régimes de retraites devront être équilibrés (la répartition est, en principe, le système adéquat) et les régimes d’assurance-maladie aussi (en réservant les remboursements les plus importants aux plus petits revenus ou aux maladies les plus graves).
Du côté des recettes, Ségolène a esquissé des propositions intéressantes, à total de prélèvements constants : moins d’impôts sur les bénéfices réinvestis dans la recherche et l’équipement, plus d’impôts sur les revenus financiers ; moins de cotisations sur les emplois dans les PME, plus de contribution des entreprises capitalistiques.
Les Français ne sont pas soumis à la fatalité du désordre mondial. Ils peuvent reprendre confiance en eux et ils en ont les moyens.
Allons, enfants de la Patrie !
Christian Sautter
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