Voir loin, agir proche - La chronique de Christian Sautter
MIASMES ET ENTHOUSIASMES
Je ne vais pas évoquer la danse macabre qui bat son plein, rue de Solferino, siège du Parti Socialiste. Cette ardente émulation pour démoraliser les militants et décourager les électeurs marque la fin d’une époque, sans assurer qu’elle en ouvrira une meilleure. La traque du bouc émissaire, en l’occurrence François Hollande, Premier secrétaire du Parti Socialiste, dispense de poser les questions de fond sur le socialisme dans la France du XXIe siècle.
Loin des miasmes d’une société politique inquiétante, je vais relater les deux journées enthousiasmantes du « Séminaire de France Active » qui se sont déroulées la semaine dernière à Clermont-Ferrand. Je préside ce réseau depuis 2001.
Cent participants représentaient les 260 salariés qui travaillent dans les 38 associations locales, appelées « Fonds territoriaux », ainsi que dans la tête de réseau. Tous sont de jeunes professionnels d’une finance qui a du sens.
Il y avait aussi 22 des 38 présidents de Fonds territoriaux, qui sont à l’avant des 800 bénévoles, donnant du temps pour piloter, accompagner les créateurs d’entreprises solidaires. 90% des bénévoles sont des hommes et des femmes en activité.
Que fait France Active ? Un des trois ateliers a travaillé sur la communication pour donner une image plus tonique et plus claire de ce discret, trop discret réseau. Un nouveau logo a été validé, avec trois personnages à la Matisse qui dansent une ronde de vie (voir le site franceactive.org). Deux devises veulent résumer l’activité : « France active, financeur solidaire de l’emploi » et « Donnons du crédit à l’emploi ».
Financeur solidaire de l’emploi ? La vocation de France Active depuis dix-neuf ans est de permettre à des personnes en grande difficulté de trouver ou retrouver un emploi, selon deux chemins bien balisés.
Le premier chemin est le soutien à la création d’entreprise individuelle. Une dizaine d’heures sont consacrées à peaufiner le plan de financement, souvent très sommaire au départ. Le projet passe devant un « comité d’engagement » qui donne le label France active. Avec ce label, les banques sont rassurées et ouvrent un crédit, à un taux normal (inférieur à 5% dans 90% des cas), et sans demander de caution de la personne ou de son entourage. Comme le taux de réussite de ces projets labellisés est de 80% au bout de cinq ans, parce que les créateurs sont accompagnés avant, pendant et après le financement, les banques y gagnent, sans frais, de nouveaux clients, ainsi qu’un supplément d’âme. Pour couronner le tout, France Active rembourse la moitié ou les deux tiers du prêt en cas de (rare) échec du projet. France Active est donc un réseau important de « micro-crédit bancaire garanti », qui a facilité la création de 4713 emplois en 2006 (16% de plus qu’en 2005).
Le deuxième chemin est l’apport de capitaux propres et de garanties d’emprunt à des entreprises solidaires, qui accueillent des chômeurs de longue durée (insertion par l’activité économique) ou déploient des activités d’utilité sociale (par exemple les services à des personnes peu argentées ou les divers aspects de l’environnement). L’an dernier, ce sont 8212 emplois qui ont été ainsi créés ou consolidés (+39%), avec le même taux de réussite à cinq ans. Je parle d’entreprise, ce qui veut dire présence sur un marché concurrentiel, mais les formes juridiques peuvent être diverses : associations, coopératives, sociétés.
L’accompagnement coûte cher et ne peut être payé par la personne ou la structure épaulée. Le budget du réseau est de l’ordre de 12 m€ et l’on a longuement débattu des leviers pour consolider les soutiens des Collectivités locales (34% du total), de l’État (25%), de la Caisse des dépôts (13%) et du Fonds social Européen (12%). L’idée de demander aux banques une commission d’apport de clientèle a flotté dans l’air.
Le réseau engendre des flux financiers importants : 25 m€ au titre des crédits bancaires garantis et plus de 10 m€ d’apports de fonds propres. Nous avons donc beaucoup discuté pour améliorer l’examen des projets et pour mesurer les risques encourus. De beaux manuels de procédure permettront de mieux analyser la partie financière du projet, mais il restera toujours l’impondérable dimension humaine : la personnalité du chef d’entreprise contribue pour moitié au succès s’il s’agit d’un projet individuel et pour un bon tiers s’il s’agit d’un projet collectif. Prendre des risques humains en contenant les risques financiers, tel est le défi.
Le réseau pousse en permanence à l’innovation, dont voici quelques exemples. Les Régions mettent en place des « Fonds régionaux d’investissements solidaires » pour mobiliser les énergies locales sans passer par Paris (qui assure cependant le « back office »). L’État et les banques sont incités à développer l’épargne salariale solidaire (épargne longue dont le capital est garanti, mais dont une partie des intérêts est consacrée à des investissements solidaires). Un système de caution de loyers commerciaux (qui absorberait autrement six à neuf mois de loyer, entamant le maigre capital de départ) démarre en Île-de-France. Les Caisses d’Épargne lancent leur propre réseau de micro-crédit avec notre appui technique. Des crédits à moyen terme aux associations commencent à être disponibles. Un soutien financier est apporté aux futurs créateurs d’entreprises.
Peut-on tirer de l’exemple de ce réseau des leçons pour conjuguer efficacité et solidarité dans un projet progressiste pour notre pays ? Je le crois. Voici quatre suggestions.
La première est la direction collégiale. À France Active, cela ne marche pas trop mal et cela évite routine et aventure. Un homme (ou une femme) providentiel ne peut tout diriger sans tomber dans des erreurs se multipliant avec le temps. Le Président actuel de la République en fera la démonstration d’ici quelques mois ou quelques semestres.
La deuxième suggestion est la proximité. Les socialistes (et d’autres) ont longtemps été persuadés que la loi pouvait changer le monde. L’État ne peut comprendre ni a fortiori piloter une société surinformée, éclatée, aux aspirations contradictoires. Partir des besoins du terrain, confier l’accompagnement au cas par cas à des collectivités locales ou à des associations est beaucoup plus concret et efficace. Le partenariat doit remplacer le droit divin.
La troisième suggestion est l’expérimentation. Toutes les solutions doivent être testées en pratique avant d’être momifiées dans un projet de loi. L’expérimentation suppose l’évaluation, dont beaucoup parlent mais que peu pratiquent. On peut rêver que des députés à plein temps (en raison de l’abolition du cumul de tous les mandats) travaillent dur en commission parlementaire pour évaluer en permanence l’effet de leurs propositions ou des projets du gouvernement.
La dernière suggestion est l’innovation. Tout change si vite, les technologies, la concurrence planétaire, les mentalités, que ni l’histoire ni a fortiori la pensée dogmatique, ne peuvent fournir toutes les clés du monde de demain. L’innovation sociale, l’innovation politique sont tout aussi indispensables que l’innovation technique.
Il y a dans le socialisme municipal (Paris, Lyon, Nantes !), mais aussi départemental et régional (Poitou-Charentes !!), il y a dans la société civile comme dans les sciences humaines, les ferments d’une France plus active et plus solidaire.
Christian Sautter
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