Voir loin, agir proche
LES TROIS CRISES DE LA FINANCE MONDIALE
Après cette annonce
bouleversante, les responsables des écoles, des services de pompiers, se sont
précipités pour récupérer leurs avoirs. En un rien de temps, 8 mds $ ont dû
être restitués. Un expert a simplement expliqué cette panique : « Les premiers
arrivés au guichet récupèrent 100% de leur argent. Les autres n’ont que ce qui
reste. »
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Le même journal nous apprend
que « les artères financières de l’économie américaine se contractent à un
rythme record ». L’expression est jolie et signifie que la perte de
confiance n’est pas limitée à la Floride. Les banques craignent désormais de se
faire crédit entre elles et de prêter aux entreprises. Plus précisément, la
masse totale des crédits commerciaux s’est réduite de 9% entre août et
novembre. Cette contraction si brutale du crédit va entraîner automatiquement
une contraction de l’activité, une récession de l’économie américaine dans les
mois qui viennent. Les très grandes entreprises qui ont un meilleur accès au
crédit s’en sortiront. Les PME souffriront. Et le chômage repartira à la
hausse. Et comme l’économie européenne vit au diapason de la superpuissance
transatlantique (il suffit d’écouter la radio boursière qui commence toujours
par les dernières nouvelles de Wall Street), la dépression « made in
USA » gagnera bientôt nos côtes.
La crise déclenchée par la
débâcle du crédit hypothécaire américain provoque des paniques locales (la
Floride et les dizaines de milliers de familles attirées dans le piège de taux
d’intérêt variables qui sont faibles au départ et rehaussés après deux ans)
mais pas de panique nationale. La Banque fédérale injecte de l’argent pour que
le crédit bancaire ne s’arrête pas complètement. La crise financière américaine
se présente donc comme une crise banale, provoquant une récession ordinaire, et
des restructurations nombreuses. C’est une purge périodique de la plus grande
économie capitaliste après des excès astronomiques. L’important est qu’elle ne
se transforme pas en crise systémique qui s’accélère jusqu’à échapper à tout
contrôle. On refroidit un moteur à explosion qui a trop chauffé. On n’est pas
en présence d’une centrale nucléaire dont le coeur fond dans un accident de
type « Three Mile Island ».
C’est une crise, c’est-à-dire
une perte d’équilibre. Ce n’est pas la seule crise. Le même numéro du Herald
Tribune en évoque deux autres.
La deuxième crise (de mon
point de vue) est l’accumulation par les pays pétroliers de trésors inutiles et
dangereux. Les recettes des pays producteurs de pétrole sont passées de 243 à
688 mds $ entre 2000 et 2007. Les pays du Golfe persique, qui ont la taille
économique des Pays-Bas, encaissent 5 milliards de dollars chaque semaine, dont
ils ne savent que faire. Ils ont un total d’investissements à l’étranger de
2000 mds $, en majorité aux Etats-Unis (55%) mais aussi en Europe (18%) et en
Asie (11%). Quand Abu Dhabi investit 7,5 mds $ dans la Banque « City
Group » (qui a eu quelques problèmes avec la crise hypothécaire), cela fait
jaser outre-Atlantique. Qu’ils se bornet à acheter des bons du Trésor
américains ! Cela finance les
déficits bushiens et notamment la guerre en Irak ! Mais s’ils acquièrent
les fleurons de New York, cela fait grincer. Il a fallu invoquer les nécessités
de la défense nationale pour empêcher le voisin Dubai de prendre le contrôle de
la gestion des ports américains.
Cette cargaison de capitaux
mal arrimés a trois inconvénients. En se déplaçant soudainement, ils peuvent
déstabiliser le dollar et l’euro. En tournant en rond, ils ne vont pas financer
les investissements de croissance dont le monde et en particulier les pays
pauvres ont besoin. Enfin, même si nous sommes prêts à payer l’essence plus
cher pour investir dans le développement durable (les énergies renouvelables,
les économies d’énergie, les technologie de l’information, les transports en
commun), gonfler les cassettes de despotes est plus contestable.
On peut rattacher à cette
deuxième crise l’annonce selon laquelle la Russie va disposer à la fin de cette
année d’un pactole pétrolier et gazier de 158 mds $. C’est une cassette qui
peut financer les infrastructures dont la Russie a grand besoin mais aussi
permettre de prendre le contrôle des réseaux européens de distribution
d’énergie et d’acquérir une capacité inquiétante de chantage sur l’Union
Européenne.
La troisième crise est
relative à la Chine. On peut accumuler des réserves financières massives en
vendant des produits pétroliers, c’est la deuxième crise. On peut arriver au
même résultat en gonflant un excédent commercial massif, grâce à un vrai talent
industrieux, ce qui est bien, mais aussi du fait d’une monnaie nettement
sous-évaluée, ce qui est moins bien. La grande Chine est donc, elle aussi,
embarrassée par des centaines de milliards de dollars. Elle a commencé par
créer un modeste « Fonds souverain » de 200 mds $. Un fonds souverain
est une sorte de fonds public de placements internationaux, que l’on trouve peu
transparent et peu libéral aux USA quand il se mêle d’acquérir des firmes américaines.
Le premier essai n’a pas été glorieux : les 3 mds $ placés dans le groupe
financier Blackstone ont perdu un tiers de leur valeur en six mois. Si la Chine
a décidé de lever le pied dans ses placements à l’étranger, c’est parce qu’elle
sent monter la critique américaine et européenne des excédents commerciaux
chinois. Il est donc inutile de créer de nouvelles frictions, d’autant que les
Jeux Olympiques de Pékin se dérouleront l’été prochain. Avec un talent
diplomatique qui dépasse celui, considérable, du Japon d’il y a trente ans,
l’annonce au bon moment de commandes d’Airbus, de centrales nucléaires ou de
Boeing, adoucit pour quelques temps les tensions internationales.
En conclusion, ce n’est pas
parce que le système capitaliste est le seul au monde qu’il en devient
rationnel et même idéal pour certains. Comme la terre de Galilée, il tourne,
mais de plus en plus vite et de plus en plus désaxé. Son cœur américain souffre
d’arythmie, que les dirigeants refusent de soigner de peur de fâcher les
puissants intérêts en jeu. Le Samu du Fed intervient heureusement dès qu’il y a
un spasme grave, mais un régime régulier serait bien préférable. La crise des
« subprime » vient d’une négligence délibérée des régulateurs (Fed en
tête) et a été amplifiée par la tolérance coupable à l’égard des paradis
fiscaux permettant d’échapper aux règles de la bonne gouvernance financière et
aussi aux griffes de la puissante administration fiscale. Tôt ou tard, il
faudra qu’un Roosevelt surgisse qui remette l’économie américaine sur ses pieds,
qui sont solides (l’enseignement supérieur et la technologie).
L’Europe pourrait jouer un
rôle salutaire si elle prêchait d’exemple et si elle parlait d’une seule voix.
Il y faudra un temps certain. Mais le redressement allemand après une décennie
d’efforts et les propos courageux de la Chancelière pour défendre la
démocratie, cabossée durant les récentes élections russes, inspirent confiance.
Christian
Sautter
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