Je reprends, avec son accord, l'excellente analyse juridique de la décision du Conseil constitutionnel sur la "rétention sûreté" qui ne serait pas une peine même si elle prive de liberté, pour une durée indéterminée, un individu estimé "dangereux". CLE
Après
l'instrumentalisation, dans un amalgame souvent douteux, des débats relatifs à
l'immigration et à l'insécurité, après des attaques insidieuses contre la
laïcité, le président de la République tend à opposer le juge judiciaire et le
juge constitutionnel.
Si ce dernier n'est pas absolument
exemplaire, ni dans son fonctionnement, ni dans ses décisions, il n'en est pas
moins ahurissant que l'élu choisit par la nation pour être le garant des
institutions méprise à ce point nos règles fondamentales. En réalité, avec
cette mise en cause de la décision du Conseil constitutionnel relative à la
rétention de sûreté, le président poursuit son entreprise de déconstruction des
fondamentaux républicains.
L'imparfaite décision du Conseil
constitutionnel
Dans sa décision du 21 février 2008 n° 2008-562 DC sur la loi
relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pour
cause de trouble mental, le Conseil constitutionnel, en un raisonnement dont il
a le secret, a validé le dispositif de rétention de sûreté, qui permettra
l'enfermement à vie des personnes condamnées à des peines au moins égales à
quinze ans de réclusion, pour des crimes graves, à condition qu'une nouvelle
juridiction régionale ait jugé que ces personnes présentaient une dangerosité
particulière, caractérisée par un risque de récidive élevé.
Pour admettre
l'idée d'une privation de liberté sans crime préalable mais seulement au nom de
la dangerosité supposée, le juge constitutionnel a estimé que la rétention de
sûreté ne constituait pas une peine. Elle échappe ainsi au principe de légalité
des délits et des peines définit à l'article 8 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789.
Cependant, et c'est là que son inventivité s'est pleinement exprimée, le
Conseil constitutionnel a jugé que la rétention de sûreté, indéfiniment renouvelable
d'année en année, représentait tout de même une mesure suffisamment privative
de liberté pour qu'elle ne puisse s'appliquer de façon rétroactive, aux
personnes condamnées avant la promulgation de la loi. Le dispositif ne sera
donc applicable qu'aux condamnés qui sortiront de prison dans une quinzaine
d'années.
Le raisonnement développé par le juge constitutionnel n'est pas vraiment
convaincant.
Mais l'institution nous a habitué aux décisions décevantes. En
l'espèce, il admet un renversement complet de notre système pénal. désormais,
on pourra être condamné non seulement pour les crimes commis, mais aussi pour
les crimes que l'on pourrait commettre si l'on était en liberté.
La
dangerosité, notion éminemment floue, fait son entrée dans le code pénal.
Certes, le Conseil constitutionnel fait de la possibilité pour le condamné de
recevoir des soins adaptés en prison une condition de la mise en oeuvre, à
l'issue de la peine, de la rétention de sûreté. Mais c'est bien le coeur du
problème. C'est parce que la France n'investit pas de moyens suffisants pour
soigner les psychopates et les pervers que ces derniers sortent de prison avec
un risque si élevé de récidive. Rien n'est fait pour assurer leur retour à la
vie en société. Il est très difficile pour un condamné d'obtenir des soins
psychiatriques en prison, faute de moyens.
Il n'en demeure pas moins que le Conseil constitutionnel a validé l'essentiel
d'un dispositif élaboré pour répondre à l'émotion suscitée par de tragiques
faits divers. On peut en outre regretter que pour se prononcer sur une question
aussi grave, le Conseil n'ait rassemblé que 8 de ses 11 membres. En effet, ni
Pierre Joxe, ultime conseiller désigné par une autorité politique de gauche, ni
les deux anciens présidents de la République n'ont pris part à cette décision.
Malgré les imperfections de l'institution et de la décision, celle-ci, aux
termes de l'article 62 de la Constitution, s'impose aux pouvoirs publics et à
toutes les autorités administratives et juridictionnelles. C'est ce qu'on appelle
l'Etat de droit. C'est ce qui nous protège de l'arbitraire.
L'entreprise de déconstruction du président de
la République
Le général de Gaulle, dans la célèbre conférence de presse de 1964,
définit le président de la République comme "l'homme que la nation se
donne à elle-même pour répondre de son destin". Aussi la Constitution lui
confie-t-elle un rôle d'arbitrage par lequel il assure le fonctionnement
régulier des pouvoirs publics. Le président lui-même est soumis, en tant que
pouvoir institutionnel, aux décisions du Conseil constitutionnel.
Or, Nicolas Sarkozy a demandé au premier président de la Cour de cassation de
réfléchir aux moyens de rendre la rétention de sûreté immédiatement applicable
aux personnes condamnées avant la promulgation de la loi. Dès le lendemain de
la décision du Conseil, il demande au plus haut magistrat de France de trouver
les moyens de contourner cette décision, en arguant de sa volonté indéfectible
de protéger les victimes. Les termes de l'échange sont clairement posés: c'est
la sécurité ou la liberté; c'est la protection des victimes (potentielles) à
tout prix, ou le respect de nos règles fondamentales. Voyez où cela peut nous
conduire.
Ce président veut transformer le peuple en une masse effrayée, victime de
demain, qu'il est en mesure de protéger car il ose, lui, en finir avec ce qui
empêche, avec ce qui fait obstacle, avec les principes et les règles auxquels
s'accroche une élite qu'il voudrait couper de ce même peuple.
Après avoir parlé de Dieu "inscrit en chaque homme", après avoir
placé les valeurs religieuses au-dessus des valeurs laïques, le président s'en
prend aux règles constitutionnelles, à l'équilibre des pouvoirs.
Mais il ne pourra pas seul éteindre l'esprit des Lumières que des décennies de
pratique républicaine et d'instruction publique ont enseigné aux citoyens
français.
Il entend rétablir une sorte d'état de nature, un état d'avant le contrat
social, où les hommes, sans règles pour les protéger, méconnaissaient l'intérêt
général.
Cet Etat de droit, ces valeurs républicaines que le président de la République
devrait incarner et qu'il piétine, sont justement là pour nous protéger de la
volonté d'un seul, pour nous protéger contre les facilités de la démagogie et
de la victimisation. Nous ne sommes pas des victimes potentielles d'une foule
de criminels en liberté. Nous sommes d'abord des citoyens constitués en une
République dont nous suivons les règles et nous regrettons de ne pas pouvoir
prendre le président de cette République pour modèle.
Si elle veut se grandir et assumer ses responsabilités face aux criminels et
face aux victimes, la République doit se donner les moyens d'un suivi adapté en
prison et après la peine.
Les citoyens eux ont à faire oeuvre de vigilance pour assurer la permanence des
idéaux républicains, contre ceux qui veulent rabaisser la République.
SOLON
http://www.blogdesolon.org/
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