Il ne suffit
pas d’avoir le bon profil pour trouver un emploi. Encore faut-il pouvoir s’y
rendre. Or, aujourd’hui, de nombreuses personnes ne disposent pas de moyens de
se déplacer faute de pouvoir passer leur permis de conduire ou d’utiliser les
transports en commun. Comme le remarque Francis Godard, professeur à
l’Université de Marne-la-Vallée, «Ce sont les personnes qui sont le plus dépourvues de
moyens de mobilité qui voient leurs lieux et leurs horaires de travail changer
le plus fréquemment»
La mobilité
n’est pas qu’une question de transport
Cette
formule qui paraissait incongrue voire sibylline voici encore quelques années
est désormais admise. En effet, se déplacer implique des savoir-faire, une
capacité à se repérer dans l’espace, à lire et comprendre l’information
relative aux moyens de transport, etc. La prise en compte de cette dimension
cognitive de la mobilité aide à mieux comprendre le lien entre mobilité et
exclusion sociale. Car celle-ci ne découle pas seulement de la perte d’un
emploi ou d’un manque de qualifications professionnelles; elle peut résulter de
l’impossibilité d’accéder à cet emploi faute de capacité à se déplacer de
manière autonome. Nous assistons à un éclatement du temps de travail avec le
développement d’horaires atypiques (temps partiel, travail de nuit, etc.) qui
ne correspondent pas aux horaires de service des moyens de transport
collectifs. Pour de nombreux travailleurs, la voiture ne peut constituer une
solution. En raison de son coût mais aussi de la difficulté à passer l’examen
théorique du permis de conduire. En la matière, les obstacles ne sont pas
seulement financiers. Ils tiennent aussi aux modalités d’apprentissage du code
de la route, particulièrement difficiles pour des populations illettrées ou
étrangères, maîtrisant mal le français. Or, on sait combien la détention du
permis de conduire conditionne l’accès à un emploi, a fortiori quand le poste
correspond à des horaires atypiques.
Entreprises
et action sociale : deux mondes qui s’ignorent?
Des
malentendus existent qui tiennent aux différences de logique voire de culture
dont relèvent respectivement ces deux «mondes». D’un côté, des entreprises du
transport où dominent des ingénieurs et qui sont plus habituées à travailler
sur des masses (et «non à faire dans la dentelle»); de l’autre, des
associations dont les animateurs sont formés aux sciences sociales et qui sont
dans une logique d’action personnalisée.
Les logiques d’inter modalité et de multi-modalité devraient prédisposer les
opérateurs conventionnels à articuler leur système aux systèmes alternatifs (au
sens où ils sont complémentaires précisément) conçus par le monde de l’action
sociale. De même, la logique du développement durable et de la responsabilité
sociale devrait rédisposer ces mêmes entreprises à intégrer les compétences du
monde de l’action sociale. Pour l’heure, et il convient de le rappeler à la
décharge des opérateurs de transport, les services qu’ils offrent répondent à
un cahier des charges défini dans le contrat qui les lie aux collectivités
locales...
Des freins juridiques
et administratifs
La
multiplicité des collectivités territoriales impliquées dans les politiques de
transport et d’aide sociale [constitue un frein]. Rappelons que c’est au
conseil général que revient la responsabilité d’organiser le transport interurbain,
au Conseil régional celle du transport express régional, à la communauté
urbaine celle du transport inter
communal. Même éclatement des responsabilités en matière d’action sociale et
des financements : au Conseil général, les RMIstes, au Conseil régional la
formation. En somme, à chaque collectivité territoriale correspond ses propres
personnes en difficulté. Devant cette situation, des solutions existent comme
la conclusion de convention de partenariat entre les différentes autorités
régulatrices et les transporteurs. Autre explication également évoquée lors des
débats: l’inadaptation de textes de loi. Entre autres exemples, on peut citer
les dispositions de la loi qui stipulent que les chauffeurs de taxi ne sont pas
habilités à faire du transport à la demande.
Vers un
service public de la mobilité durable... et un droit à la mobilité?
Par là, il
faut entendre un service public exploitant les ressources de l’intermodalité et
de la multimodalité dans une logique du développement durable, c’est-à-dire qui
contribue au développement économique tout en satisfaisant aux exigences de
solidarité (en luttant contre les inégalités) et de protection de
l’environnement (en favorisant les moyens de transport les moins polluants).
Avec ce
service public de la mobilité durable, c’est à la reconnaissance d’un «droit à
la mobilité » à laquelle on doit oeuvrer. Rappelons qu’un droit au transport a
déjà été reconnu (cf. la Loi d’orientation des transports intérieurs de
1982) Un droit à la mobilité va bien
au-delà, ainsi que l’a rappelé François Ascher. Il recouvre un «droit créance»
(c’est-à-dire les moyens que le citoyen est en droit de demander à la société
pour se déplacer) et un «droit liberté » (c’est-à-dire la liberté de se
déplacer, un droit inhérent aux sociétés démocratiques modernes). La
reconnaissance d’un tel droit à la mobilité importe d’autant plus que les
capacités de mobilité sont un «véritable multiplicateur des avantages sociaux
des personnes» (Eric Le Breton). En schématisant, celui qui en plus de revenus
financiers élevés a accès à internet, dispose d’une voiture et des moyens de
prendre l’avion, a la possibilité de conforter sa position sociale.
Inversement, celui qui est dans une situation de précarité vit la mobilité comme une contrainte qui va aggraver
sa situation sociale.
En bref, la
mobilité et l’obligation de mobilité accentuent les inégalités sociales.
Institut de la ville en mouvement, Le Forum pour
l’insertion, 6 et 7 octobre 2005, SAINT-NAZAIRE.
http://www.ville-en-mouvement.com L’Institut pour la ville en mouvement est une
association de loi 1901
créée, dans le cadre du mécénat d’entreprise, par le groupe PSA Peugeot Citroën, d
désireux d’établir des liens avec des partenaires issus de
secteurs autres que celui de l’industrie
automobile
pour relever ensemble les défis scientifiques, technologiques et
sociaux liés à la mobilité dans la ville de demain.
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