La pensée urbaine, majoritaire en France, a
des difficultés à remettre en cause son visage néo-libéral des années
quatre-vingt. Il avait permis de se dédouaner de la période antérieure de
notre histoire urbaine, mais une mode chasse l'autre. Pourquoi la culpabilité
des grands ensembles nous condamnerait-elle à la périurbanisation dispersée ?
La grille de lecture proposée, l'urbanisme de secteurs, a démontré combien le
système circulatoire et celui de zoning produisent des micropériphéries à tous
les échelons des établissements humains (villages, bourgs, petites villes). Ils
manquent de faubourgs, avec ce qu'ils ont toujours représenté de vitalité, de
renouvellement, d'initiative individuelle. En effet, les tissus de faubourgs
présentent une continuité territoriale d'espaces publics bordés de paysages
hybrides, composites, où s'entremêlent parcelles agricoles et fragments
urbains, dont la mosaïque visuelle et fonctionnelle est progressivement
apprivoisée par nos regards.
(3) Mixité
sociale ou ville métisse ? Or la mixité
sociale et fonctionnelle constitue d'abord une affaire de regard accepté. Un
métissage visuel que rejettent les aménageurs qui régulent quartiers de villes,
ensembles protégés, périmètres d'unité visuelle. L'haussmanisation contemporaine
ne s'effectue plus par le biais de percées, mais via la pensée homogénéisante
qui imprègne les esprits, nivelle les hauteurs et exclut l'hétérogène, la
densification, le bricolage éphémère. Certes, e projet urbain "à la
française" représente une forme honorable de résistance à une
mondialisation déterritorialisée. Mais, à bien des égards, il est trop convenu
et dépend dans les textes et dans le droit, de mécanismes niveleurs, de
programmations normatives, de vulgates sur l'architecture urbaine. En un mot,
de processus mortifères de fabrication de la ville.
Pour une
dynamique urbaine
A défaut de
fabriquer une ville passante où pourraient s'inscrire des bâtiments et des
programmations hétérogènes, les architectes, vraisemblablement sous l'influence
de l'ère de la manipulation génétique, s'intéressent à l'hybride. Mais cette
recherche ne doit pas occulter des combats essentiels pour une plus grande
dynamique urbaine. Une dynamique qui réclame d'assumer certaines formes de
densification des périphéries comme des centres-villes, d'encourager des
mixités d'usages, d'envisager des solutions de parkings plus économes d'espace.
Une dynamique qui exige de dépasser le "traumatisme de la hauteur"
associant de manière simpliste constructions verticales et urbanisme de dalle.
Mais une dynamique qui requiert, avant tout, d'accepter l'hétérogénéité
visuelle. Non pas comme une forme de nouveau pittoresque, mais comme la
condition sine que non d'une vitalité
économique, sociale et artistique, à différentes échelles et pour différents
acteurs. Pourquoi alors, dans le cadre d'un projet géographique, ne pas faire
évoluer les règles du jeu et introduire des marges d'imprévu et d'aléatoire, à
la manière de l'Oulipo, ce mouvement littéraire qui à partir d'une contrainte
arbitraire, s'ingénie à produire de la fantaisie et rencontre parfois la poésie
? Au libéralisme malthusien soumis au marché, il faut opposer la ville du
socialisme libertaire, soumise à des règles minimum de continuité de l'espace
public sans que celle-ci signifie nécessairement continuité du bâti. Les
paysages et architectures seront probablement jugés assez peu corrects sur le
plan esthétique. En revanche, ils seront plus authentiquement vivants et
hétérogènes.
David Mangin, La ville franchisée, Editions de la Villette,
2005
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