Les villes
font partie de la mémoire collective européenne, comme le montre le retour
récurrent aux centres historiques. Enoncer de vagues principes de temporalité
et de mobilité comme déterminants principaux de l'urbanisme spatial, c'est
prendre le risque de la politique de la chaise vide. C'est même dénier toute
existence aux pouvoirs publics qui, quotidiennement, votent les documents
d'urbanisme et signent les permis de construire. Les nouvelles recompositions
administratives des territoires (communautés de communes, d'agglomérations,
décentralisation, déconcentration de certains services …) doivent s'inscrire dans
une certaine intelligence du territoire
et des réseaux, sous peine de créer de nouvelles féodalités, des logiques
sectorielles supplémentaires. Tout en assumant le risque que les solutions
d'aujourd'hui portent sans doute en germe les problèmes de demain et que, peut
être, au grand dam des acharnés de la tabula
rasa [table rase] théorique, certaines des solutions d'aujourd'hui ont déjà
eu cours avant-hier. Cela dit, trois grands chantiers peuvent être suggérés ici
: privilégier l'urbanisme de tracés plutôt que l'urbanisme de secteurs (1) ; la
ville passante plutôt qu'une juxtaposition d'environnements sécurisés (2) ; la
ville métisse plutôt que la ville homogène (3).
(1) A
l'urbanisme de secteurs, il faut opposer vigoureusement l'urbanisme de tracés, qui prend en compte la géographie dès la
conception des infrastructures. Cet urbanisme de tracés, analysé dans un
ouvrage antérieur, utilise la géographie (géologie, hydrologie, topographie,
paysage …) et articule tracés, voiries, découpages au sol, construction de
l'espace public et règles d'édification.
(2) Le second objectif de cet "urbanisme du possible" consiste
à diminuer la dépendance automobile là où s'effectue l'essentiel de l'étalement
résidentiel, et donc de
renforcer les densités près des gares et arrêts de transports en commun. Pour
éviter qu'enfants, adolescents, personnes âgées et, d'une manière générale,
toute personne qui ne possède pas l'usage d'une automobile soit dépendante, il
faut planifier les lieux d'habitat, de travail et d'équipements de services
situés à des distances (de 100 à 1000 mètres) permettant d'accéder à pied ou en
deux-roues à l'arrêt de bus, de car ou de train, à la boulangerie ou à l'école.
Ceci suppose également un habitat individuel plus dense (…). Cet urbanisme de
proximité physique peut rapidement se heurter à certaines "politiques de
proximité" des élus qui réveillent les intérêts particuliers. Le refus de
la plus grande proximité peut s'expliquer parce que l'on confond trop
fréquemment concentration et densité. En définitive, il faut admettre que la
densité et les règlements d'emprises qui l'accompagnent doivent être envisagés
principalement sous la forme d'un potentiel
de densification, c'est-à-dire enrichis d'une dimension temporelle. >>>
(3) Mixité sociale ou ville métisse ? Or la mixité sociale et fonctionnelle
constitue d'abord une affaire de regard accepté. Un métissage visuel que
rejettent les aménageurs qui régulent quartiers de villes, ensembles protégés,
périmètres d'unité visuelle. L'haussmanisation contemporaine ne s'effectue plus
par le biais de percées, mais via la pensée homogénéisante qui imprègne les
esprits, nivelle les hauteurs et exclut l'hétérogène, la densification, le
bricolage éphémère. Certes, e projet urbain "à la française" représente
une forme honorable de résistance à une mondialisation déterritorialisée. Mais,
à bien des égards, il est trop convenu et dépend dans les textes et dans le
droit, de mécanismes niveleurs, de programmations normatives, de vulgates sur
l'architecture urbaine. En un mot, de processus mortifères de fabrication de la
ville.
Pour une
dynamique urbaine
A défaut de
fabriquer une ville passante où pourraient s'inscrire des bâtiments et des
programmations hétérogènes, les architectes, vraisemblablement sous l'influence
de l'ère de la manipulation génétique, s'intéressent à l'hybride. Mais cette
recherche ne doit pas occulter des combats essentiels pour une plus grande
dynamique urbaine. Une dynamique qui réclame d'assumer certaines formes de
densification des périphéries comme des centres-villes, d'encourager des
mixités d'usages, d'envisager des solutions de parkings plus économes d'espace.
Une dynamique qui exige de dépasser le "traumatisme de la hauteur"
associant de manière simpliste constructions verticales et urbanisme de dalle.
Mais une dynamique qui requiert, avant tout, d'accepter l'hétérogénéité
visuelle. Non pas comme une forme de nouveau pittoresque, mais comme la
condition sine que non d'une vitalité
économique, sociale et artistique, à différentes échelles et pour différents
acteurs. Pourquoi alors, dans le cadre d'un projet géographique, ne pas faire
évoluer les règles du jeu et introduire des marges d'imprévu et d'aléatoire, à
la manière de l'Oulipo, ce mouvement littéraire qui à partir d'une contrainte
arbitraire, s'ingénie à produire de la fantaisie et rencontre parfois la poésie
? Au libéralisme malthusien soumis au marché, il faut opposer la ville du
socialisme libertaire, soumise à des règles minimum de continuité de l'espace
public sans que celle-ci signifie nécessairement continuité du bâti. Les
paysages et architectures seront probablement jugés assez peu corrects sur le
plan esthétique. En revanche, ils seront plus authentiquement vivants et
hétérogènes.
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