Les apports des nouvelles
règles spécifiques sur les 'faillites' des établissements de crédit
Christophe Léguevaques
Auteur
de « Droit des défaillances
bancaires », Economica, 2002
Mais, je ne peux décemment
pas vous raconter des histoires lorsque je lis le titre de mon sujet « Les apports des nouvelles règles spécifiques
sur les faillites des établissements de crédit ». Il est beaucoup trop
sérieux… Et pourtant, ce sujet contient en germe un paradoxe, source de plus
d’une inspiration romanesque.
Peut-on parler de ‘faillite’ en ce qui concerne les
procédures d’insolvabilité d’un établissement de crédit ? Si l’on en croit
le droit européen et notamment la directive du 4 avril 2001 relative à
l’assainissement et à la liquidation d’un établissement de crédit (que nous
baptiserons « Dalec »[3]),
le mot de « faillite » est aussi impropre que celui de
« procédure d’insolvabilité ». En effet, en présence d’un
établissement de crédit, nous devons parler de « mesures d’assainissement » ou de « liquidation ». Autrement dit l’intervention du juge
dans une « procédure » n’est pas forcément nécessaire. Ainsi, nous
verrons que derrière des mots tels que « mesures d’assainissement » ,
la réalité est bel et bien un retour de la « faillite », c’est à dire
une procédure collective de paiement destinée à satisfaire autant que faire se
peut les créanciers et à organiser le paiement sous le contrôle[4] d’une autorité impartiale qui doit assurer la
protection des consommateurs.
Mais ce n’est pas le seul
paradoxe auquel nous serons confrontés dans l’étude de cette matière.
Le premier paradoxe est d’ordre économique. Nous sommes passés d’une
économie réelle, dans laquelle les biens industriels étaient principalement
financés par le recours à des prêts, à une économie virtuelle qui gère des
produits à terme et dérive vers toujours plus de données immatérielles.
N’oublions jamais que les produits dérivés sont nés pour faire face à l’aléa,
aux risques liés au prix d’une denrée, d’une matière première à terme.
Mais, c’est là le paradoxe, les produits dérivés deviennent eux-mêmes l’objet
de spéculation[5].
Le danger réside alors dans l’amplification de l’effet spéculatif par l’effet
de levier. Nous retrouvons ici LTCM qui, avec 2 milliards de dollars de fonds
propres, a pu emprunter plus de 100 milliards de dollars auprès
d’établissements de crédit afin de prendre des positions sur les marchés
dérivés en cumulant plus de 1.000 milliards de dollars d’engagements… Avec cet
exemple, on comprend mieux ce que l’on appelle un risque systémique[6],
qui représente la hantise de toutes les banques centrales, en raison de son
effet dévastateur pour l’ensemble du système. On touche aussi du doigt les
contraintes inhérentes à cette activité complexe, en évolution constante, par
définition internationale. Retenons d’ores et déjà que le droit des faillites
bancaires va tout mettre en œuvre pour isoler
l’établissement de crédit défaillant et limiter
les effets de contagions.
Le second paradoxe est d’ordre politique. Les marchés financiers
jouent, depuis une vingtaine d’années, un rôle déterminant dans la vie
économique, sociale et politique de tous les pays[7]. L’exemple des retraites par capitalisation
est ici particulièrement illustratif : les enfants du baby boom ont
contribué depuis le début des années 80 à l’explosion des cours de bourse dans
la perspective de se constituer une retraite en raison de l’absence (ou de la
faiblesse) d’organismes de répartition. Les exigences des fonds de pension se
répercutent dans les entreprises, influencent les choix des politiques et
transforment même le droit (Cf. la
notion de « gouvernement
d’entreprise »[8]).
A l’opposé des années 60, c’est à présent l’économie qui dicte sa loi au
politique. Retenons que se pose avec une certaine acuité la question de la
souveraineté des Etats face aux marchés financiers et leur légitimité. Quoi
qu’il en soit, nous découvrirons avec l’étonnement propre au juriste français
soucieux de hiérarchie des normes, que le législateur moderne, tant français
qu’européen, considère que, pour un contrat sur des instruments financiers,
l’accord des parties doit primer le droit des procédures collectives, droit de
direction économique s’il en est un.
La dernière série de paradoxes résulte de la rencontre des deux premiers
et concerne le droit.
· au cours des années 80, nous avons vécu une déréglementation qui a permis le développement de la
« financiarisation » de l’économie[9] ;
les banques ont subi et résisté ; celles qui n’y sont pas arrivées sont
mortes, faute d’avoir réussi à s’adosser ou s’adapter. Mais, aujourd’hui, nous
assistons à un phénomène de re-réglementation,
voire de sur-réglementation justifié apparemment pour renforcer la confiance
des investisseurs et assurer la sécurité financière (la loi américaine
Sarbannes-Oaxley du 30 juillet 2002 en est l’illustration presque caricaturale[10]). Les marchés financiers acceptent et semblent
même revendiquer cette réglementation qu’ils avaient pourtant contribué à
détruire au nom de l’autorégulation. Et c’est ici que l’on retrouve la fin de
la « croyance euphorique et partagée
dans l’autorégulation du capitalisme financier »[11],
héritage ironique de l’affaire ENRON. Nous verrons que le législateur abandonne
bien volontiers au contrat le soin de traiter des conséquences de la
défaillance d’une contrepartie, pour mieux renforcer les pouvoirs et les
prérogatives des autorités de régulation.
· Par ailleurs et ce sera notre second paradoxe juridique, le
Règlement Insolvabilité exclut de son champ d’application les établissements de
crédit, les compagnies d’assurance, les organismes de placement collectifs
(OPC) et les entreprises d’investissement (article 1-2 du Règlement) et
consacre, pour reprendre l’expression du Professeur MENJUCQ, une « procédure principale de portée
universelle »[12] tout en unifiant des règlements de compétence
législative. En matière de « faillite » bancaire, la Dalec va plus
loin en consacrant une véritable
procédure unitaire et universelle[13].
C’est d’ailleurs l’une de ses marques de fabrique les plus importantes,
l’apport le plus significatif. Pourtant, c’est ici que réside un dernier
paradoxe. En distinguant la procédure d’insolvabilité de droit commun, des
mesures d’assainissement ou de liquidation d’un établissement de crédit, on met
un terme à un principe sous-jacent des procédures collectives. En effet,
jusqu’à la fin du XXème siècle, quelle que soit son activité
(industrielle, commerciale, réglementée ou non), la faillite du commerçant
était régie par une loi uniforme. Pour comprendre comment l’on a pu arriver à cette singularité d’une procédure collective adaptée à une activité
économique donnée, il convient de présenter sommairement le cadre réglementaire des établissements
de crédit.
Comme cela n’est pas le cœur
de notre sujet, retenons simplement trois idées forces qui permettront de mieux
comprendre la portée de la Dalec :
· 1ère idée : un agrément est nécessaire pour exercer l’activité bancaire[14].
Cet agrément est délivré par une autorité de l’Etat membre d’origine qui
contrôle l’établissement de crédit dans le cadre d’une surveillance sur une
base consolidée, à charge pour elle de coopérer avec les autorités des
Etats membres d’accueil. C’est ici que réside le fondement d’une procédure
collective réellement unitaire et universelle propre à la Dalec.
· 2ème idée :
la prévention de la défaillance d’un établissement de crédit et plus généralement
la prévention du risque systémique constituent la politique commune des
différentes autorités de régulation. Dans le cadre de cette prévention, l’Union
européenne a mis en place un mécanisme de garantie des dépôts et des titres
et un mécanisme rendant définitifs les règlements par compensation des
ordres de transferts introduits dans un « système » au sens de
cette directive 98/26/CE du 19 mai 1998[15].
C’est la technique du sanctuaire.
· 3ème idée : en 1998, la Commission
européenne a adopté un Plan d'action
pour un marché financier unique
(que nous baptiserons le « Plan d’action ») proposant des priorités
indicatives et un calendrier de mesures spécifiques. Dans le cadre de ce Plan
d’action, l’on retrouve non seulement le renforcement des mesures
prudentielles, mais aussi l’adoption de la Dalec et de directives postérieures
venant encore préciser certains aspects importants, comme la Directive
2002/47/CE du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière[16].
On le voit, la Dalec s’inscrit dans la
définition d’un espace financier européen harmonisé, situation rare que
l’on ne retrouve pas dans d’autres activités économiques et notamment
industrielles.
>>>
lire la suite en téléchargeant le fichier :
[1] DavANE,D. « Instabilité du système financier
international », Conseil d’Analyse Economique (CAE),
n° 14, La Documentation française, 1998, p. 14-15. Pouzin, J.-P., Ce petit génie a perdu 600
milliards de francs », L’Expansion,
22 octobre au 4 novembre 1998, n° 583, p. 141. Champarnaud B.,
« La régulation des "hedge funds" », Rev. d’écon.
fin., n° 60, 5-2000, p. 197 et s.
[2] FUGGER, J., ENRON, le krach de la confiance, Arnaud Franel
éditions, « La
faillite d’ENRON an 2001 c’est d’abord la chute d’une étoile. La septième
entreprise américaine par son chiffre d’affaires de plus de 100 milliards de
dollars, précédant IBM de 10 milliards de dollars », préface de B.
MOSCHETTO.
[3] JOCE L/125, 5
mai 2001, p. 15 et s. ; Idot,
L., Chroniques de
jurisprudence, marché intérieur, services financiers, procédures collectives, Europe, 2001,
n° 6, p. 11. DEGUéE, J.-P., La
directive 2001/24/CE sur l’assainissement et la liquidation des établissements
de crédit : une solution au défaillances bancaires internationales ?,
Euredia,
2001-2002/2, Bruylant, p. 241 et s.
[4] V. en ce sens,
PERCEROU, Failites,
banqueroutes et liquidations judiciaires, 2ème éd°, Rousseau, 1935, p. IX « Lorsque le débiteur vient
à ne pas tenir ses engagements, la loi met à la disposition de ses créanciers
des moyens de l’y contraindre ».
[5] FRISON-ROCHE,
M.-A. (sous la direction de), Les
leçons d’ENRON, capitalisme la déchirure, p. 30.
[6] DESCHANEL, J.-P. et
FERNANDEZ-BOLLO, E., Le
contrôle et la sécurité de l’épargne dans la loi bancaire de 1984, Mélanges
STOUFFLET, 2001, p. 69 et s.
[7] VAUPLANE, H. de, Le droit bancaire et la
mondialisation des marchés financiers, Rev. jur. com., janvier 2001, p. 187 et s.
[8] A paraître aux Petites Affiches, « Splendeurs et misères du
gouvernement d’entreprise », colloque d’Amiens, 21 mars 2003.
[9] BONNEAU, T. et
DRUMMOND F., Droit
des marchés financiers, Economica, 2001, n° 51 et s.
[10] Les discussions
du Parlement français sur la Loi de sécurité financière sont aussi
particulièrement éclairantes : la loi doit donner confiance dans les
marchés financiers …
[11] FRISON-ROCHE, A.-M., op. cit.
[12] MENJUCQ, M., Ouverture et reconnaissance des
procédures d’insolvabilité dans le Règlement 1346/2000., Petites
affiches, 20 novembre 2001, n° 231, p. 24 et s.
[13] DEGUéE, J.-P., op. cit., n° 8 ;
Léguevaques, Chr., Droit des défaillances
bancaires, Economica, 2002, n° 1131 et s.
[14] sur le droit
bancaire européen, voir notamment Directive 2000/12/CE du Parlement européen et
du Conseil du 20 mars 2000 concernant l’accès à l’activité d’établissement de
crédit et son exercice (JOCE,
L 126/1, du 26 mai 2000 n° L 27), modifiée par la Directive 2000/28/CE du Parlement européen
et du Conseil du 18 septembre 2000 (JOCE n° L 275 du 27 octobre 2000, p. 37 et
s.). Sousi-Roubi,
B., Droit bancaire européen,
Dalloz, 1995 ; DEGUéE, J.-P.,
op. cit., p. 5 « l’objectif
est de préserver la confiance dans chaque établissement et dans le secteur
financier dans son ensemble, et d’assurer la protection des épargnants et des
investisseurs (….) il s’agit donc fondamentalement de veiller à la
sécurité des créanciers et des épargnants par la surveillance du respect des
obligations et interdictions légales et réglementaires formant le statut légal
des établissements de crédit (…) »
[15] Directive 98/26/CE du Parlement Européen et du Conseil du 19
mai 1998 (JO
L 166 du 11.6.1998, p. 44 à 50) concernant le caractère définitif du règlement dans les
systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres. V.
notamment : DEVOS, D., La
directive européenne du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du
règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur
titres, Euredia, 1999, Bruylant, Bruxelles, p. 149 ; BLOCH, P., La directive 98/26/CE concernant
le caractère définitif
du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur
titres, Mélanges AEDBF F. II, 1999, p. 49 et s.
[16] Directive
2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les
contrats de garantie financière,
(JOCE n° L 168, du 27 juin 2002, p. 43).
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