L’INNOCENCE
DE LA BONTE ET LA BETISE DE LA CRUAUTE
Catherine et moi sommes allés voir
« Bienvenue chez les Ch’tis », avec des sentiments mélangés. D’un
côté, la crainte de voir une farce de comique troupier, aux ficelles
grossières ; de l’autre, un picotement ethnologique de curiosité pour
comprendre comment cette comédie régionale pouvait attirer tant de nos
compatriotes.
Pékin s’est trompé à propos des Jeux Olympiques. >>> lire la suite >>>
Il paraissait logique qu’après Tokyo en 1964 puis Séoul en 1988, la
Chine accède à ce label prestigieux. Elle a cru que les Jeux étaient uniquement
le symbole d’une réussite économique, d’une « émergence » dans le
club fermé des pays développés occidentaux. Incontestablement, les Jeux de 1964
comme ceux de 1988 ont salué la formidable réussite industrielle du Japon et de
la Corée du Sud. Ces deux peuples asiatiques ont été légitimement fiers
d’ouvrir les fenêtres et de montrer les fruits d’un travail acharné, d’une
épargne élevée, d’un pilotage privé-public, qui ont édifié des industries de l’automobile,
de l’électronique, dont on pensait jusque-là qu’elles seraient à jamais des
monopoles américains ou européens. Et la réussite chinoise depuis trente ans
justifie cette parade olympique qui concentre les regards du monde entier sur
un pays si éloigné.
Mais les JO ont une autre dimension
que les dirigeants de la Cité interdite ont négligée. Celle de l’avènement
d’une démocratie. Le Japon en 1964 avait beaucoup à se faire pardonner et peu
d’étrangers savaient à l’époque que ce pays avait été doté d’une Constitution
démocratique et même pacifiste (le fameux article 9 qui interdit le recours à
la guerre). Et de même, la Corée sortait en 1988 d’une longue période de
dictature militaire. La Chine a cru qu’elle pouvait s’en tirer à bon compte, en
faisant de vagues promesses de respecter davantage les droits de l’homme. Ses
dirigeants ont été persuadés que la nouvelle puissance financière,
industrielle, commerciale du pays, que sa gourmandise insatiable en énergie,
matières premières, composants sophistiqués et autres biens d’équipement
feraient taire les chefs d’État « réalistes » et donc les peuples
visités par la parade patriotarde et commerciale de la flamme olympique. Pas de
chance, Internet aidant, les Tibétains se sont manifestés pour réclamer leur
autonomie culturelle et les « dissidents », ces héros que l’on
saluait autrefois dans l’URSS oppressive, ont joué leur va-tout. Les opinions
publiques démocratiques ont embrayé, avec un mélange de goût de la liberté pour
autrui et aussi d’appréhension face à ce géant qui menace les emplois
traditionnels des pays développés.
Il est difficile de comprendre
pourquoi la Chine, qui a été dirigée par des diplomates extraordinaires, Chou
En lai et Deng Xiaoping, réagit actuellement de façon si obtuse en se braquant
sur une crispation nationaliste et sur une accentuation de la répression.
Certains pensent qu’elle peut évoluer d’ici l’été. Je pense qu’on aurait pu
souhaiter que l’Inde, la plus grande démocratie d’Asie, ait proposé à l’époque
d’accueillir les Jeux.
Autre exemple de cruauté bête :
la sanction infligée à Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à
l’Écologie, à la suite de ses propos peu aimables à l’égard du président du
groupe parlementaire conservateur de l’Assemblée nationale et de son ministre
de tutelle. J’ai vécu deux aventures parlementaires similaires comme secrétaire
d’État au Budget. Mes cheveux argentés et la qualité de mon cabinet m’ont
cependant dissuadé de me confesser aux journalistes.
Premier épisode : un vendredi
matin, le débat budgétaire reprenait avec moins de députés de la majorité
supposée me soutenir que de parlementaires de l’opposition. Les uns et les
autres se comptaient aisément sur les doigts de deux mains, car le vendredi,
les députés cumulards se consacrent à leurs mandats locaux. Il a fallu
suspendre la séance pour battre le rappel de députés socialistes parisiens et même bretons. Du coup, on a fini à l’aube
du samedi, après une nuit ininterrompue, en savourant un champagne-croissants
avec les braves survivants.
Deuxième épisode : la réforme
de la loi Pons sur les avantages fiscaux accordés aux investissements
outre-mer. Le gouvernement Jospin voulait mettre un peu d’ordre dans une niche
fiscale, qui permettait notamment à un métropolitain aisé de se faire payer à 110%
par le contribuable un joli voilier de croisière basé aux Antilles. Tous les
députés conservateurs de là-bas avaient fait le déplacement et lisaient
consciencieusement une note soulignant les risques que ferait courir à l’emploi
local toute modification du code fiscal. Une députée s’est alors levée. C’était
Christiane Taubira, guyanaise, qui a refusé de lire à son tour la note du
patronat local et fait un discours vibrant réclamant pour la jeunesse
d’outre-mer un autre avenir et donc d’autres investissements publics dans
l’éducation, l’emploi.
La secrétaire d’État à l’Écologie a
subi la double pression d’un groupe majoritaire qui traînait les pieds (cela,
c’est la responsabilité du président du groupe) et d’un lobby déchaîné de
l’agrobusiness refusant d’abolir tous les profits liés aux OGM (organismes
génétiquement modifiés). Et chacun sait que ce groupe de pression est puissant
à l’Assemblée et encore plus au Sénat, sans parler de Bruxelles. Les petites
fermes familiales, qui font des produits de qualité, sont les éternelles
perdantes de ce rapport de forces. On comprend que la secrétaire d’État eût
aimé avoir parfois la présence du ministre en charge du développement durable
pour lutter contre ces adversaires coriaces qui remettaient en cause les promesses
dudit ministre (et du Président de la République !)
Priver cette jeune ministre de la
séance des questions d’actualité (où il y a la télévision) et de voyage au
Japon avec le Premier ministre, a été d’une bêtise crasse. Les excuses qu’elle a dû faire m’ont rappelé les
propos de Galilée sur la terre qu’il devait jurer plate, sous peine
d’excommunication : « Et pourtant, elle tourne ».
Le développement durable, économique, social
et écologique, est une révolution copernicienne à venir et je crois que la
gauche est mieux à même de la faire qu’une droite prisonnière des groupes de
pression.
Christian
Sautter
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