Parmi mes textes politiques préférés, il y a bien sûr celui-ci. Nous quittons le marécage de la médiocrité, les vils appétits, les égos surdimensionnés, la réunion des incompétents qui trouvent la voie de la réussite par une politique de plus en plus alimentaire et de moins en moins à la recherche de l'intérêt général.
ô combien, le niveau à baisser en politique de Jean-Jaurès à Nicolas Sarkozy - CLE
Le courage aujourd’hui …
Le courage, c'est d'aimer la vie et de
regarder la mort d'un regard tranquille;
c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le
réel
Ce qui reste vrai, à
travers toutes nos misères, à travers toutes les injustices commises ou subies,
c'est qu'il faut faire un large crédit à la nature humaine ; c'est qu'on se
condamne soi-même à ne pas comprendre l'humanité, si on n'a pas le sens de sa
grandeur et le pressentiment de ses destinées incomparables. Cette confiance
n'est ni sotte, ni aveugle, ni frivole. Elle n'ignore pas les vices, les
crimes, les erreurs, les préjugés, les égoïsmes de tout ordre, égoïsme des
individus, égoïsme des castes, égoïsme des partis, égoïsme des classes, qui
appesantissent la marche de l'homme, et absorbent souvent le cours du fleuve en
un tourbillon trouble et sanglant. Elle sait que les forces bonnes, les forces
de sagesse, de lumière, de justice, ne peuvent se passer du secours du temps,
et que la nuit de la servitude et de l'ignorance n'est pas dissipée par une
illumination soudaine et totale, mais atténuée seulement par une lente série
d'aurores incertaines (…)
Mais d'abord, mais avant
tout, il faut rompre le cercle de fatalité, le cercle de fer, le cercle de
haine où les revendications même justes provoquent des représailles qui se
flattent de l'être, où la guerre tourne après la guerre en un mouvement sans
issue et sans fin, où le droit et la violence, sous la même livrée sanglante,
ne se discernent presque plus l'un de l'autre, et où l'humanité déchirée pleure
de la victoire de la justice presque autant que de sa défaite. Surtout, qu'on
ne nous accuse point d'abaisser et d'énerver les courages. L'humanité est
maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer
éternellement. Le courage, aujourd'hui, ce n'est pas de maintenir sur le monde
la sombre nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours
se flatter qu'elle éclatera sur d'autres.
Le courage, ce n'est
pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison,
peut résoudre ; car le courage est l'exaltation de l'homme, et ceci en est
l'abdication. Le courage pour vous tous, courage de toutes les heures, c'est de
supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que
prodigue la vie. Le courage, c'est de ne pas livrer sa volonté au hasard des
impressions et des forces; c'est de garder dans les lassitudes inévitables
l'habitude du travail et de l'action.
Le courage dans le
désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c'est de choisir
un métier et de le bien faire, quel qu'il soit ; c'est de ne pas se
rebuter du détail minutieux ou monotone ; c'est de devenir, autant qu'on
le peut, un technicien accompli ; c'est d'accepter et de comprendre cette
loi de la spécialisation du travail qui est la condition de l'action utile, et
cependant de ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le
vaste monde et des perspectives plus étendues. Le courage, c'est d'être tout
ensemble, et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe.
Le courage, c'est de
comprendre sa propre vie, de la préciser, de l'approfondir, de l'établir et de la
coordonner cependant à la vie générale. Le courage, c'est de surveiller
exactement sa machine à filer ou à tisser, pour qu'aucun fil ne se casse, et de
préparer cependant un ordre social plus vaste et plus fraternel où la machine
sera la servante commune des travailleurs libérés. Le courage, c'est d'accepter
les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à l'art, d'accueillir,
d'explorer la complexité presque infinie des faits et des détails, et cependant
d'éclairer cette réalité énorme et confuse par des idées générales, de
l'organiser et de la soulever par la beauté sacrée des formes et des rythmes.
Le courage, c'est de
dominer ses propres fautes, d'en souffrir, mais de n'en pas être accablé et de
continuer son chemin. Le courage, c'est d'aimer la vie et de regarder la mort
d'un regard tranquille; c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel ;
c'est d'agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense
réserve à notre effort l'univers profond, ni s'il lui réserve une récompense.
Le courage, c'est de
chercher la vérité et de la dire; c'est de ne pas subir la loi du mensonge
triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et
de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.
Jean-Jaurès, Le discours à la
jeunesse, Lycée d’Albi (1903)
Commentaires