Christophe Lèguevaques, docteur en droit est associé au cabinet
cLé réseau d’avocats (Paris Toulouse Marseille). Il a publié un ouvrage de
référence en 2002 chez Economica
sur la « défaillance bancaire ».
Depuis lors, entre
le Lehman's day et l'extension de la crise financière à l'Europe (cf. Fortis, Bradford & Bingley, Northern Rock, Alliance &
Leicester et HBOS, Hypo Real Estate, et bientôt une banque française ?), son
ouvrage garde toute son actualité.
Lors d’une
conférence en 2003, il présentait la Directive relative à l'assainissement et à
la liquidation d'un établissement de crédit (DALEC, 4 avril 2001, JOCE L 125, 5 mai 2001) qui va connaître son
épreuve du feu en raison de l’extension de la crise à l’Europe.
LES
APPORTS DESNOUVELLESRÈGLES SPÉCIFIQUES SURLESFAILLITES
DESÉTABLISSEMENTSDECRÉDIT
(Petites affiches Colloque National des mandataires judiciaires,
Paris avril 2003)
Pour traiter
le sujet qui m’a été proposé, j’aurais aimé avoir le temps de vous raconter une
histoire, voire des histoires… Comme dans une bonne saga de John Le Carré,
j’aurais voulu vous raconter comment la C.I.A. utilisait la B.C.C.I. pour financer
des groupes militaires en Amérique du Sud, tout en fermant les yeux sur les
pratiques douteuses de blanchiment planétaire mises au point par cette banque.
Comme dans un polar d’Ellroy, j’aurais pu aussi vous raconter l’incroyable
histoire d’un jeune « trader » en poste à Singapore qui, du haut de ses 27 ans,
a mis en faillite (pour ne pas dire a braqué) une vieille dame de la City, la
Baring’s, qui était présentée, au XIX siècle, comme la puissance économique mondiale.
Dans un récit d’anticipation à la Orwell, j’aurais pu aussi vous décrire
comment l’apocalypse de tout le système bancaire et financier international a
été évitée de justesse en 1998 par l’injection massive de liquidités dans le
fonds spéculatif L.T.C.M. (1). Sous une forme humoristique et rabelaisienne,
j’aurais pu vous conter et vous compter la folie « internet » et son appétit
gargantuesque de financement. À la manière d’Alexandre Dumas, j’aurais pu
développer sur plusieurs milliers de pages la vengeance du réel et les déconvenues
d’Enron (2), montrant, encore une fois, que « vingt ans après », les marchés
n’ont toujours pas de mémoire de la crise précédente. Hélas, je ne suis pas non
plus Émile Zola décrivant « l’Argent » facile et la banqueroute de la Banque
universelle, comme il aurait pu, un siècle plus tard, tenir le journal des
grandes heures de la crise bancaire française des années 90 du Crédit Lyonnais
en passant par Pallas Stern...
Mais, je ne peux décemment pas vous raconter des histoires
lorsque je lis le titre de mon sujet « Les apports des nouvelles règles spécifiques
sur les faillites des établissements de crédit ». Il est beaucoup trop sérieux…
Et pourtant, ce sujet contient en germe un paradoxe, source de plus d’une
inspiration romanesque. Peut-on parler de « faillite » en ce qui concerne les
procédures d’insolvabilité d’un établissement de crédit ? Si l’on en croit le
droit européen et notamment la directive du 4 avril 2001 relative à l’assainissement
et à la liquidation d’un établissement de crédit (que nous baptiserons « Dalec
» (3)), le mot de « faillite » est aussi impropre que celui de « procédure
d’insolvabilité ».
En effet, en présence d’un établissement de crédit, nous
devons parler de « mesures d’assainissement » ou de « liquidation ». Autrement
dit l’intervention du juge dans une « procédure » n’est pas forcément
nécessaire. Ainsi, nous verrons que derrière des mots tels que « mesures d’assainissement
», la réalité est bel et bien un retour de la « faillite », c’est-à-dire une
procédure collective de paiement destinée à satisfaire autant que faire se peut
les créanciers et à organiser le paiement sous le contrôle (4) d’une autorité
impartiale qui doit assurer la protection des consommateurs. Mais ce n’est pas le seul paradoxe auquel nous
serons confrontés dans l’étude de cette matière.
Le premier paradoxe est d’ordre économique. Nous sommes
passés d’une économie réelle, dans
laquelle les biens industriels étaient principalement financés par le recours à
des prêts, à une économie virtuelle
qui gère des produits à terme et dérive vers toujours plus de données
immatérielles. N’oublions jamais que les produits dérivés sont nés pour faire
face à l’aléa, aux risques liés au prix d’une denrée, d’une matière première à
terme. Mais, c’est là le paradoxe, les produits dérivés deviennent eux-mêmes
l’objet de spéculation (5).
Le danger réside alors dans l’amplification de l’effet
spéculatif par l’effet de levier. Nous retrouvons ici L.T.C.M. qui, avec 2
milliards de dollars de fonds propres, a pu emprunter plus de 100 milliards de
dollars auprès d’établissements de crédit afin de prendre des positions sur les
marchés dérivés en cumulant plus de 1.000 milliards de dollars d’engagements...
Avec cet exemple, on comprend mieux ce que l’on appelle un risque systémique
(6), qui représente la hantise de toutes les banques centrales, en raison de
son effet dévastateur pour l’ensemble du système. On touche aussi du doigt les
contraintes inhérentes à cette activité complexe, en évolution constante, par
définition internationale. Retenons d’ores et déjà que le droit des faillites
bancaires va tout mettre en œuvre pour isoler l’établissement de crédit défaillant
et limiter les effets de contagions.
Le second paradoxe est d’ordre politique. Les
marchés financiers jouent, depuis une vingtaine d’années, un rôle déterminant
dans la vie économique, sociale et politique de tous les pays (7). L’exemple
des retraites par capitalisation est ici particulièrement illustratif : les
enfants du baby boom ont contribué depuis le début des années 80 à l’explosion
des cours de bourse dans la perspective de se constituer une retraite en raison
de l’absence (ou de la faiblesse) d’organismes de répartition. Les exigences des
fonds de pension se répercutent dans les entreprises, influencent les choix des
politiques et transforment même le droit (cf. la notion de « gouvernement
d’entreprise » (8)). À l’opposé des années 60, c’est à présent l’économie qui
dicte sa loi au politique.
Retenons que se pose avec une certaine acuité la question
de la souveraineté des États face aux marchés financiers et leur légitimité.
Quoi qu’il en soit, nous découvrirons avec l’étonnement propre au juriste français
soucieux de hiérarchie des normes, que le législateur moderne, tant français
qu’européen, considère que, pour un contrat sur des instruments financiers,
l’accord des parties doit primer le droit des procédures collectives, droit de
direction économique s’il en est un.
La dernière série de paradoxes résulte de la
rencontre des deux premiers et concerne le droit.
— Au cours des années 80, nous avons vécu une
déréglementation qui a permis le développement de la « financiarisation » de
l’économie (9) ; les banques ont subi et résisté ; celles qui n’y sont pas
arrivées sont mortes, faute d’avoir réussi à s’adosser ou s’adapter. Mais,
aujourd’hui, nous assistons à un phénomène de re-réglementation, voire de
sur-réglementation justifié apparemment pour renforcer la confiance des investisseurs
et assurer la sécurité financière (la loi américaine Sarbannes-Oaxley du 30
juillet 2002 en est l’illustration presque caricaturale (10)). Les marchés financiers
acceptent et semblent même revendiquer cette ré-glementation qu’ils avaient
pourtant contribué à détruire au nom de l’autorégulation. Et c’est ici que l’on
retrouve la fin de la « croyance
euphorique et partagée dans l’autorégulation du capitalisme financier » (11),
héritage ironique de l’affaire Enron. Nous verrons que le législateur abandonne
bien volontiers au contrat le soin de traiter des conséquences de la
défaillance d’une contrepartie, pour mieux renforcer les pouvoirs et les
prérogatives des autorités de régulation.
— Par ailleurs et ce sera notre second paradoxe juridique,
le règlement insolvabilité exclut de son champ d’application les établissements
de crédit, les compagnies d’assurance, les Organismes de placement collectifs
(O.P.C.) et les entreprises d’investissement (article 1-2 du règlement) et
consacre, pour reprendre l’expression du Professeur Menjucq, une « procédure
principale de portée universelle » (12) tout en unifiant des règlements de compétence
législative. En matière de « faillite » bancaire, la Dalec va plus loin en
consacrant une véritable procédure unitaire et universelle (13). C’est
d’ailleurs l’une de ses marques de fabrique les plus importantes, l’apport le
plus significatif.
Pourtant, c’est ici que réside un dernier paradoxe. En
distinguant la procédure d’insolvabilité de droit commun, des mesures
d’assainissement ou de liquidation d’un établissement de crédit, on met un
terme à un principe sous¬jacent des procédures collectives. En effet, jusqu’à
la fin du XXe siècle, quelle que soit son activité (industrielle, commerciale,
réglementée ou non), la faillite du commerçant était régie par une loi
uniforme. Pour comprendre comment l’on a pu arriver à cette singularité d’une
procédure collective adaptée à une activité économique donnée, il convient de
présenter sommairement le cadre réglementaire des établissements de crédit.
Comme cela n’est pas le cœur de notre sujet, retenons
simplement trois idées forces qui permettront de mieux comprendre la portée de
la Dalec :
—1re idée : un
agrément est nécessaire pour exercer l’ac-tivité bancaire (14). Cet agrément
est délivré par une autorité de l’État membre d’origine qui contrôle l’établissement
de crédit dans le cadre d’une surveillance sur une base consolidée, à charge
pour elle de coopérer avec les autorités des États membres d’accueil. C’est ici
que réside le fondement d’une procédure collective réellement unitaire et
universelle propre à la Dalec.
—2e idée : la
prévention de la défaillance d’un établissement de crédit et plus généralement
la prévention du risque systémique constituent la politique commune des différentes
autorités de régulation. Dans le cadre de cette prévention, l’Union
euro-péenne a mis en place un mécanisme de garantie des dépôts et des titres et
un mé-canisme rendant définitifs les règlements par compensa¬tion des ordres de
transferts introduits dans un « système » au sens de cette directive 98/26/C.E.
du 19 mai 1998 (15). C’est la technique du sanctuaire.
—3e idée : en 1998, la Commission européenne a
adopté un Plan d’action pour un marché financier unique (que nous baptiserons le
« Plan d’action ») proposant des priorités indicatives et un calendrier de
mesures spécifiques. Dans le cadre de ce Plan d’action, l’on retrouve non
seulement le renforcement des mesures prudentielles, mais aussi l’adoption de
la Dalec et de directives postérieures venant encore préciser certains aspects
importants, comme la directive 2002/47/C.E. du 6 juin 2002 concernant les
contrats de garantie financière (16).
On le voit, la Dalec s’inscrit dans la définition d’un espace financier européen harmonisé,
situation rare que l’on ne retrouve pas dans d’autres activités économiques et
notamment industrielles.
Ainsi, après avoir détaillé les conditions d’existence,
de fonctionnement et de contrôle d’un établissement (17), ainsi que les
conséquences d’une défaillance sur certaines catégories de clients (18) ou sur
certains contrats (19), la Commission se devait de prévoir et d’organiser la mort éventuelle d’un établissement de crédit.
Pour cela, après de nombreuses négociations avec le
Parlement, elle a opté pour une directive qui présente des principes directeurs
clairs. Avant d’étudier le domaine de la Dalec, observons que les techniques
mises en place en cas de défaillance d’un établissement de crédit sont en
grande partie semblables à celles contenues dans une autre directive
sectorielle, la Dalea (20), directive concernant l’assainissement et la liquidation
d’une entreprise d’assurance. Cette proximité est telle que les deux directives
adoptées en même temps, au printemps 2001 partagent également de nombreuses
définitions. Dès lors, on peut s’interroger sur la maturation d’un « droit
européen des faillites bancaires et financières » (21).
L’intégralité de la conférence est disponible est ici :
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