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Procès
AZF : Grande Paroisse et
Serge Biechlin
TOULOUSE - Février – Juin 2009
PLAIDOIRIE pour
la ville de
TOULOUSE
l’association
des sinistrés du 21 septembre 2001
Mme Andrée
DELON
Mme
Daniella VELLIN-PATCHE et sa fille Flora
Me Christophe Lèguevaques, avocat.
Monsieur le président, Mesdames, Monsieur,
J’ai l’honneur de prendre la parole au
nom de la Ville de Toulouse, de l’association des sinistrés du 21 septembre
2001, de Madame Delon et de Madame Patche et de sa fille Flora dans le procès
AZF les opposant à la société Grande
Paroisse et à M. Serge Biechlin.
C’est un procès extraordinaire à tout point de vue.
Votre tache est redoutable : déterminer la vérité dans ce magma
d’informations parfois contradictoires et condamner les responsables, tous les
responsables quels qu’ils soient.
Il a vous fallu beaucoup de courage pour accepter cette mission, du courage
pour tenir cette audience. Il vous faudra encore du courage pour trancher. Car,
si l’on en croit Hannah Arendt « l’acte de juger constitue l’acte de
liberté par excellence ».
C’est donc à un tribunal libre de toute pression et fort de son courage que
je m’adresse aujourd’hui.
Devant vous, je veux être la voix des sans voix, je veux porter la parole
des cent voix d’une ville blessée, meurtrie, défigurée par le plus grand
accident industriel survenu en France au XXe siècle.
Pour l’association des sinistrés du 21 septembre 2001, qui a réuni jusqu’à
1700 victimes de l’explosion, je veux tenter de clarifier un dossier dont la
défense n’a eu de cesse de le complexifier, de l’obscurcir, de l’enliser.
Pour Madame Delon qui souffre toujours dans sa chair et qui n’a pas été
indemnisée intégralement, je montrerai la duplicité des responsables qui
donnent d’une main pour acheter le silence de l’autre.
Enfin, pour Flora, 3 ans au moment de l’explosion de l’usine AZF, je
démontrerai comment un enchaînement d’erreurs, de négligences, et de fautes a
pu conduire à cette catastrophe qui a coûté la vie à son papa.
En effet, ce vendredi 21 septembre 2001, le papa de Flora était venu faire
réparer son automobile chez Midas de l’autre coté de la rocade.
Je veux également parler à tous ceux, quel que soit le côté de la rocade où
ils se trouvaient ce vendredi 21 septembre 2001 aux alentours de 10h17.
Qu’ils soient à l’intérieur de l’usine, ou à l’extérieur, tous les
toulousains ont vu leur vie basculée ce jour-là.
Pour avoir été l’un des leurs, un de ceux de l’intérieur, de cette
citadelle assiégée aux bordures de la ville et aux bords de Garonne, je connais
la peine des ouvriers de Grande Paroisse.
Jamais, ils ne pourront me reprocher une accusation déplacée contre eux,
jamais je n’ai créé la polémique. Et si parfois, je les ai un peu bousculés
c’était au nom de cette recherche éperdue de la vérité qui est notre souci
commun.
« Chercher la vérité et la dire », c’est, pour
Jean Jaurès, l’une des formes de ce courage.
Et il en faut également du courage pour ne pas hésiter à froisser la
susceptibilité d’anciens camarades de travail.
L’amitié est à ce prix : dire la vérité, la répéter, l’expliquer
inlassablement, faire entendre raison contre la facilité des croyances.
Parmi les regrets que j’ai dans ce dossier, il y a celui de la simplicité
avec laquelle le groupe industriel a pu ériger un mur invisible entre les
victimes.
Diviser pour mieux régner, n’est pas la devise de tous ceux qui sont tentés
d’abuser de leur pouvoir ?
Mais au-delà des manœuvres de ce groupe puissant, il demeure une
réalité. Toutes les victimes ont un point commun, elles recherchent la
vérité, elles veulent « et comprendre et juger ».
Voyez vous, Monsieur le président, nous aurions pu éviter beaucoup de dépenses inutiles, de rancœur et de crispation.
Pour cela, il eut fallu –tiens là
encore- un peu de courage.
Si les prévenus avaient reconnu les faits dans leur simplicité :
l’usine a explosé pour avoir oublié que deux produits ne devaient jamais se
rencontrer.
Si les prévenus avaient présenté des excuses sincères,
Si les prévenus avaient concédé leurs torts envers la collectivité,
Alors la ville tout entière aurait pu accorder le pardon et passer à autre
chose.
Vérité,
transparence, respect.
On aurait pu s’attendre à un comportement raisonnable et démocratique en
France au début du XXIe siècle.
Et qu’a-t-on vu ?
Mensonges, manipulations, arrogance !
Vous êtes venus dans vos costumes sombres, le chéquier à la main et le
sourire méprisant aux lèvres.
Vous êtes venus nous faire l’aumône d’une indemnité et vous avez tenté
d’acheter notre silence, comme vous l’avez fait, moyennant 150 millions
d’euros, avec la SNPE.
Et pendant que nous nous enlisions dans les méandres d’une procédure
d’indemnisation, habile diversion, vous avez lancé la machine à rumeurs.
Est-ce un hasard si la thèse de l’acte intentionnel, de préférence le
terrorisme islamique, était véhiculée par l’extrême droite et la presse liée à
la barbouzerie internationale ?
Pendant que nous pansions nos plaies, vous pensiez à organiser des
contre-feux. Une grande campagne de déstabilisation de l’enquête s’est mise en
place.
Cette campagne de presse devait connaître son aboutissement lors de votre
audience.
Sous le feu nourri des critiques, sous le poids des mots et le choc des
totaux, certains vendeurs de papier ont lancé les pistes les plus saugrenues,
nous y reviendrons.
On nous avait prévenu.
On nous avait dit, vous allez voir ce que vous allez voir.
Le ténor parisien fera taire les chœurs toulousains et la vérité
industrielle s’imposera d’elle-même à ces parties civiles qui n’ont rien
compris, à ces parties civiles qui n’ont pas leur place dans un procès pénal, à
ces parties civiles qui posent les questions de Candide et n’acceptent pas de
subir la loi du mensonge triomphant…
Sans peur et sans reproche, nous, les parties civiles, nous nous sommes
présentés devant vous. Un peu démunis, un peu désunis, nous sommes venus à
votre audience, nous avons appris les uns des autres et nous avons fait œuvre
commune.
Alors, je peux vous le dire, Monsieur le président, nous sommes venus à
votre audience et nous n’avons pas été déçus.
On nous annonçait des révélations fracassantes, des complots, un grand
cirque.
Et nous nous retrouvons avec le quotidien sinistre d’une usine banale, une
usine comme il en existe partout en France où l’on prétend respecter la loi
tout en prenant des libertés avec les règlements, une usine où l’on prend des habitudes, où l’on
dévie des normes et recommandations imposées par l’arrêté préfectoral, ou l’on
oublie les procédures instaurées par la
« documentation maîtrisée ».
Une fois, les habitudes prises, il est difficile d’y déroger, tant il est
vrai comme l’a dit Paul Valéry que « rien n’est plus pervers qu’un
esprit habitué ».
Vous le savez, Monsieur le président, reconnaître ses habitudes, notamment si elles sont mauvaises, rien n’est plus difficile.
Cela est vrai pour les hommes, mais aussi pour les sociétés commerciales.
Nous reviendrons dans un instant sur cette avidité, cette hubris de la
rentabilité, cette soif inextinguible du rendement pour réaliser des économies,
maximiser les profits et au final, payer de substantiels dividendes aux
actionnaires et de confortables retraites chapeaux aux dirigeants.
Quant à la sécurité, bah, on en parle dans des chartes, dans des écrits.
Elle devient un cantique ou un chant de Noël que l’on récite sans y croire.
Elle est plus un discours, courtois, politiquement correct qu’une pratique
réelle, une réalité palpable.
Pour l’instant, je souhaiterais insister sur un dernier point afin de vous
révéler mon angle d’attaque.
L’instruction l’avait déjà démontré, mais votre audience l’a
confirmé : les prévenus savaient.
Ils savaient qu’en présence d’eau, l’ammonitrate et le DCCNa sont
dangereusement incompatibles. Tous ceux qui ont fait un peu de chimie le
savent.
Tous ceux qui ont parcouru le MEDARD le savent également.
Car, dans cet ouvrage de référence, on peut lire ceci :
«La facilité avec laquelle le
chlorure d’azote prend naissance par action du chlore, d’hypochlorite ou de
quelque autre agent de chlorant sur les ions NH4+ (ammonitrate) (…) explique
les cas assez nombreux d’explosions survenues dans les caniveaux d’usine qui
recevaient des effluents les uns chlorés, les autres ammoniacaux.
On est de même conduit à la
règle d’interdire l’introduction d’ammoniaque ou de sels ammoniacaux dans les
ateliers où l’on fabrique du chlore, comme dans ceux où on l’utilise.»
Tout le monde savait ou devait savoir dans cette usine que les produits
chlorés et les ammonitrates ne doivent JAMAIS se rencontrer, se croiser ou se
mélanger.
Bref, le directeur de l’usine et le groupe industriel savaient tout, dès le
lundi 24 septembre 2001.
Des dangers préexistants à leur usine qu’ils ont sciemment, délibérément
minimisés (ce qui est une forme classique du mensonge) aux événements survenus
sur le site dans les 72 heures avant l’explosion.
Pendant que les forces de police se déployaient sur le site autour du cratère, la Commission d’enquête interne, cette commission fantôme,
cette commission de l’ombre, agissait dans le plus grand secret.
A l’abri des regards indiscrets, la Commission
d’enquête interne interrogeait M. Fauré,
le laissant sortir en pleurs, comme s’il avait compris qu’il pouvait devenir le
bouc émissaire de la grande société.
Dans la plus grande discrétion et sans rien dire à personne, pendant que le
commissaire SABY s’énamourait pour « son » cratère, la Commission d’enquête interne arpentait
le site 700 m plus au sud.
Dès le début, la Commission d’enquête
interne savait que le hangar 335 est l’une des sources possibles des
produits conduisant à l’explosion, l’un des lieux ou les produits et les sacs
venant de toutes les parties de l’usine se croisaient.
Le hangar 335 était un lieu de passage, un chaudron maléfique dans lequel
toutes les productions de l’usine pouvaient se mélanger.
La Commission d’enquête interne
savait, le groupe industriel savait, les dirigeants du groupe savaient.
Et ils n’ont rien dit.
Ils ont gardé le silence du 22 septembre au 21 novembre 2001, date de
l’arrivée de la police dans le hangar 335.
Détenir une information privilégiée et la garder pour conserver un
avantage, c’est la définition exacte de l’asymétrie de l’information.
Et bien Monsieur le président, je souhaite utiliser cette asymétrie de
l’information pour démontrer que non seulement la thèse de
l’accusation est exacte mais que ce comportement signe la culpabilité des
prévenus.
Cette notion d’asymétrie de l’information est l’une des clés de ce dossier.
Pour vous en convaincre, je vais développer deux idées qui seront les deux
parties de ma plaidoirie :
· Comment
l’accident de l’usine AZF s’inscrit-il dans le scénario type des accidents
industriels répertoriés ? Ce sera ma première partie.
· Comment le
groupe industriel a-t-il manipulé les informations disponibles pour occulter
les faits, créer des écrans de fumée et dissimuler sa culpabilité, bref brouiller les pistes et tenter d’instiller
un doute raisonnable, ce sera ma deuxième partie.
Pour tout vous dire, j’avais prévu une troisième et dernière partie
consacrée à quelques questions de droit.Par exemple, je souhaitais attirer
votre attention sur la définition de déchets après les arrêts de 2008 rendus
par la Cour de Justice des Communautés
Européennes (CJCE) et la Cour de Cassation dans le dossier Commune de Mesquer contre TOTAL.
Mais, comme vous le savez, certaines parties civiles se sont concertées.
J’ai pris des engagements envers mes confrères et je respecterai ma parole. Je
ne traiterai donc pas des questions de droit, morceau de choix réservé à mon
confrère Alain Lévy.
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