Les sondages plaçant Ségolène Royal en situation d’être battue au second tour sont intéressants. Ils le sont, non pas en tant que tels mais par l’importance incroyable qu’ils reflètent dans le débat politique, aujourd’hui comme hier. Or, et c’est ce que je voudrais développer, ces sondages dit d’opinion, sont invérifiables. On ne peut donc que s’étonner de leur poids dans la vie politique.
Vu à la télé : un reportage sur une circonscription des législatives. Le candidat sortant, peu importe son appartenance, reçoit un ténor de son parti qui lui demande comment ça va. Réponse du candidat : « les sondages me donnent à 55%, bon on va voir ». Et on voit que le candidat est battu largement, obtenant (si je me souviens bien) 45%.
1er problème : l’absence totale de fiabilité des sondages privés. Il faut rappeler que les sondages n’ont de rigueur mathématique qu’à la seule condition de reposer sur des échantillons constitués par un tirage au sort, équivalent à celui des boues du loto, où toutes les boules ont les mêmes chances d’être tirées. L’incertitude du sondage dépend alors de la taille de l’échantillon : 1000 ampoules électrique peuvent être testées dans une usine au lieu du million ou de la dizaine de millions (ça ne change rien) produites chaque jour, avec une fiabilité jugée suffisante. Dans ce cas, l’échantillon est représentatif. En dehors de cette coûteuse technique, qu’utilise l’INSEE, aucune estimation mathématique ne peut être effectuée pour mesurer l’incertitude des résultats, donc la fiabilité du sondage.
Or, les sondages dits d’opinion menés par des instituts privés ne sont pas fondés sur le tirage au sort. Ils s’appuient sur des échantillons par quotas, c’est-à-dire des groupes constitués sur la base de critères dont on pense qu’ils influent sur l’opinion : les professions et catégories socio-professionnelles, le sexe, l’âge etc. On dira donc qu’il faut X% d’ouvriers, Y% de femmes, etc. dans l’échantillon.
MAIS, dans ce cas, on ne sait pas si l’échantillon formé est représentatif ou non. Et on ne peut en aucune manière estimer l’incertitude des résultats, toute prétention contraire étant de la tromperie ou de l’ignorance. Je mets à part le problème des sondages des soirs d’élections, à 20h sur les votes dépouillés, puisque là on dispose d’une base de données qui concernent des urnes repérables dans le temps (toujours les mêmes) et pas des électeurs.
En outre, quand les résultats bruts d’enquêtes, de plus en plus souvent téléphoniques, sont amenés dans le bureau du directeur du sondage, ils les corrigent : dans le jargon, on dit qu’il les redresse, cela en fonction de l’idée qu’il se fait de l’évolution de l’opinion. Par exemple, les intentions de vote pour l’extrême-droite sont souvent minimisées lors des enquêtes orales, donc on les accroît artificiellement. Le directeur du sondage peut penser que, si la campagne de Ségolène Royal cafouille, alors sûrement va-t-elle être battue au second tour, et il en tient compte.
C’est d’ailleurs ce qui explique que les sondages ne peuvent prédire les changements, puisque leurs résultats sont eux-mêmes calés sur les vrais résultats des élections les plus proches ou les plus compatibles. Si un sondage oral brut donne : 22% pour un parti qui ne fait généralement que 5%, l’institut de sondage voit bien que ça ne colle pas et il redresse les résultats. Autrement dit, sauf coup de chance, les sondages se trompent régulièrement quand les résultats changent, et depuis 20 ans les cas d’erreur sont innombrables. Les sondages ne peuvent donc fournir de résultats que sur ce qu’on sait déjà : si les élections sont stables, alors tout va bien, mais ils ne servent plus à rien.
Si : ils profitent de cette situation pour prétendre que « les Français » (quelle audace !) sont contents de .., pas contents de … sont pour ci, contre ça (et ça permet de vendre des sondages commerciaux aux entreprises ou aux journaux, ce qui est l‘essentiel de leur activité).
Alors pourquoi tant de peine ? C’est une bonne question. D’abord, les sondages influent peut-être sur les résultats qu’ils prétendent mesurer. Mais comment le savoir puisqu’il faudrait des … sondages fiables pour le savoir, et c’est un cercle vicieux.
2e problème. Passons à l’essentiel : que la politique de gauche se débarrasse des sondages, des cotes de popularité, … et qu’on débatte sereinement d’une politique des principes, des objectifs, des moyens, donc qu’on abandonne l’électoralisme.
Patrick Chaskiel
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