Nous publions une première série d'articles émanant de citoyens osant se poser des questions. N'hésitez pas à nous soumettre vos idées ou à initier un débat en réagissant dans la zone "commentaires". Bien sûr, les propos et analyses n'engagent que leur auteur...
Que la recherche soit une solution aux problèmes que rencontrent nos sociétés est une opinion assez consensuelle, sur laquelle pourraient s'accorder bon nombre d'entre nous. Que cette opinion soit consensuelle n'implique pourtant pas que la recherche soit le maillon manquant pour réduire le chômage, la pollution ou les inégalités sociales. On peut tout aussi bien soutenir que la recherche est susceptible d'accroître nos difficultés, et l'exemple des déchets nucléaires est là pour nous le rappeler. C'est ce débat que je voudrais (re)lancer en livrant trois réflexions à la discussion.
La première est que nos sociétés sont de plus en plus dépendantes de technologies qui sont elles-mêmes de plus en plus difficiles à maîtriser techniquement. Qu'on pense aux interrogations sur le nucléaire, les OGM, les nanotechnologies, le clonage, et on conviendra qu'il ne suffit pas de disposer de connaissances pour se contenter d'un discours euphorisant sur le progrès scientifique. La recherche contemporaine est créatrice de risques, qu'on ne connaît pas, et on ne dispose pas à ce jour des institutions qui les prendraient en charge, en tout cas pas des institutions équivalentes à celles prenant en charge, même de moins en moins bien, le risque social de chômage et de perte de revenu.
La seconde est que cette dépendance est de plus en plus difficile à contrôler démocratiquement surtout si elle part du postulat basique selon lequel recherche = progrès. S'il en était ainsi, il suffirait évidemment de produire des connaissances et de les appliquer dans le bon sens. Mais ce postulat implique d'imaginer une science totalement indépendante des décisions politiques et industrielles. Or, ces trois mondes (science, politique et industrie) sont interconnectés, pas seulement par les financements mais aussi par les orientations stratégiques que tout Etat impose à la recherche.
La troisième réflexion est que les débats du moment sur la recherche laissent largement de côté l'idée que le surdéveloppement de la recherche est susceptible de produire plus d'inégalités : inégalités dans l'aménagement du territoire, inégalités sociales d'accès à l'enseignement supérieur, inégalités dans l'accès à l'emploi du fait des déficiences de formation, inégalités mondiales, ...
Mon point de vue n'a rien d'antiscientifique dans la mesure où il ne prône pas de revenir à la bougie, mais il n'est pas non plus proscientifique dans la mesure où il ne préconise pas de poursuivre sans discussion dans la tendance actuelle. Il est d'abord interrogatif.
On pourrait dire que nous sommes devant une bifurcation : accroître notre dépendance vis-à-vis de solutions technologiques ultrasophistiquées (et le projet ITER en est un exemple) ou bien réduire cette dépendance en partant de solutions scientifico-techniques dont la caractéristique principale est qu'elles soient d'abord maîtrisables et contrôlables. Si une élection présidentielle est un moment de discussion élargie, il ne serait pas mauvais qu'on se consacre à choisir aujourd'hui de quoi sera fait après-demain, et pas seulement demain.
Patrick Chaskiel
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