Le droit d'auteur dressé en feuille de vigne
Depuis Août 2004, le SNEP (Syndicat des Editeurs phonographiques) et la SCPP menée par Pascal Nègre ont déclenché la répression contre le téléchargement "illégal" de titres. Ils ciblent, plus précisément, les "up-loaders", ceux qui mettent à disposition leurs fichiers musique sur le Net.
Cette répression s'engage au nom de la défense du droit d'auteur et de la création artistique, le téléchargement constituant prétendument une menace sur ceux-ci.
Sans être un spécialiste du droit, d'autres sont mieux placés pour juger du bien fondé des actions en justice, qu'il soit permis de rappeler dans ce contexte répressif quelques faits très instructifs sur les pratiques des maisons de disque et autres majors de "l'entertainment" et qui permettent de replacer le débat à sa juste place: quelles sont les véritables raisons de cette déclaration de guerre et de cette débauche de terminologie "pirate, voleur…" (demain vous verrez, ce sera "terroriste"). Par ordre d'importance croissante:
1- LA DÉFENSE DU MUSIC BUSINESS
C'est moins de la défense de la création artistique qu'il s'agit que de la protection d'un business très largement profitable, dans lequel le droit d'auteur a été largement tenu pour négligeable:
- Quand Pascal Nègre prétend défendre le droit d'auteur, il fait sciemment un amalgame trompeur: les auteurs (paroliers & compositeurs), sur qui repose réellement la création et la diversité artistique ne touchent que 7% du prix de vente public hors taxe. Les interprètes quant à eux, se voient attribuer entre 10 et 19% de ce prix, en fonction de leur pouvoir de négociation avec la maison de disque.
- Comme pour le poisson, ce sont les différents intermédiaires dans ce business qui touchent un revenu bien supérieur à ceux qui se donnent le mal d'aller à la pêche par tous temps. La défense du droit d'auteur commencerait donc par la répartition plus équilibrée des revenus de la création. Ce serait là une première étape qui donnerait à l'industrie du disque et ses représentants aigris une légitimité bien supérieure.
- Ainsi, la maison de disque s'octroie royalement 52% du prix de vente hors taxe, suivie de la distribution à 22%. Si vous vous intéressez à la part de la maison de disque, elle se décompose comme suit selon le SNEP (syndicat des éditeurs phonographiques):
o 31% en promotion (quelle entreprise dépenserait en coût marketing 31% de son CA?)
o 21% en fabrication soit 1.82€ (ces chiffres doivent dater du microsillon: aujourd'hui le pressage d'un CD ne coûte que quelques centimes d'euros auxquels il faut ajouter pour quelques autres centimes l'impression de la jaquette). Il y a de la marge déguisée dans ces prix de fabrication.
o 25% de frais généraux
o 17% en marge d'exploitation
- Bref, la baisse du prix du disque ne dépend pas, ou bien moins, d'une baisse de TVA réclamée à cor et à cri par Mr Nègre, mais bien par une meilleure gestion d'un business considéré jusqu'à peu comme une vache à lait: tout compris, la marge opérationnelle réelle de la production de disque devrait être plus proche de 30% que de 17.
- Quand à la création artistique, il y a belle lurette qu'elle est sous le contrôle très étroit du marketing qui décide ce qui se vend ou pas, de ce qui se met en avant, de ce qu'on lance avant l'été, pour nous produire de l'émotion calibrée et sur mesure (voir le combat des "petits" artistes pour exister).
- Les relations entre les auteurs et leurs maisons de disques sont de la même nature que celles entre pot de terre et de fer, et les accords, quand ils sont conclus, le sont le plus souvent sur le mode "à prendre ou à laisser". De fait, qu'ils le veuillent ou non, les auteurs sont otages de leurs distributeurs et je ne serais pas surpris qu'ils aient eu à subir des pressions du genre "tu montes au créneau contre le téléchargement "pirate" ou bien…."
- Qui dit création, dit "diversité": diversité des genres, des goûts, des styles, des supports,…Cette diversité et cette complémentarité sont insupportables au global business de l'entertainment. C'est à qui possèdera la véritable "marque globale", celle qui dicte sa loi aux marchés et il en est déjà de la musique comme de la lessive. Par exemple, on ne vous présente plus une œuvre sous son label particulier, celui qui la signe (par exemple, le célèbre "Blue Note") mais par "c'"est un disque Universal". La défense de la création et de la diversité est peu de chose comparée aux intérêts du global business.
2- LA PEUR QUE LE PHÉNOMÈNE S'ÉTENDE À LA VIDÉO AVEC L'EXPLOSION DU HAUT DÉBIT
- On entre ici dans le domaine du sérieux, voire du very serious business: il y a fort à parier que la rigueur affichée sur le front de la musique aurait été toute différente sans l'avènement du haut débit qui fait peser une menace similaire sur le movie business. Il s'agit donc de briser le développement du téléchargement au prix de quelques entorses juridiques ou de syntaxe (pourquoi la copie privée sur internet serait-elle davantage du "piratage" que la copie sur cassette qui l'a précédée de plus de 30 ans?)
- Quelques faits significatifs:
o Hollywood a tenté de faire interdire le magnétoscope lorsqu'il est arrivé sur le marché à la fin des années 60, sous le prétexte que "ce mode de copie met en péril la création cinématographique" (Tiens, tiens?). Il faut savoir que 30 ans plus tard, les revenus des DVD et autres VHS sont tels qu'ils sont "confidentiels défense". Cependant, un dirigeant de Time Warner qui a souhaité conserver l'anonymat pour avoir enfreint cette loi du silence a déclaré au New York Times (12/2/05) que les revenus de Warner en home video ont dépassé les 2 milliards et pourrait atteindre 5 à 6 Milliards de dollars en 3 ans.
o Hollywood clame à qui veut l'entendre que les pertes annuelles dues aux copies pirates (DVD &VCD) sont de l'ordre de 3.5Milliards de dollars mais se refuse à donner toute information sur le niveau du business légal (Une estimation faite par Screen Digest (source fiable sur l'industrie du cinéma) établit le marché mondial de la home vidéo (achat et location) à près de 25 Milliards de dollars dont près de 12 Milliards pour Hollywood). Le genre de business qu'il convient de protéger de façon adéquate.
o Charles Roven (Warner Bros) reconnaît que "pendant longtemps, le film business avait un taux de retour sur investissement à 1 chiffre. Grâce à la home vidéo, il est passé à un taux à 2 chiffres et les studios feront tout pour ne pas revenir à des taux à un chiffre". Et de conclure, "maintenant, on parle vraiment fric".
- Le MP3 fait bien plus peur aux studios cinéma qu'à leurs division "musique": ce format était à l'origine créé pour l'image bien plus que pour le son.
3- L'INCAPACITÉ DE CETTE INDUSTRIE À DÉCOUVRIR LE BON "BUSINESS MODÈLE" ET D'ACCOMPAGNER SON MARCHÉ.
- Ce n'est rien de dire que l'industrie du disque n'a pas vu venir internet ou plus exactement, ils n'ont jamais su quoi en faire: en 2000, lors d'une interview avec le Journal du Net, Pascal Nègre déclarait: "On attend toujours la révolution grand public de l'Internet. Nous avons juste besoin d'être positionnés sur Internet avant deux ans. J'ai connu la période des radios libres au début des années 80. Internet, ça va être la même chose. Il est vrai que, dans notre secteur, nous avons été particulièrement gâtés avec le MP3, qui devait servir en premier au cinema". Bref, on attend pour voir. Ils ont attendu, ils ont vu: De toutes les innovations technologiques touchant à la musique, aucune n'a été lancée ou véritablement promue par l'industrie qui en vit, largement, depuis 50 ans.
- A la question "allez vous, comme d'autres sociétés, travailler avec MP3.com?", Pascal Nègre répondait en 2000 " Pourquoi devrions-nous faire un deal d'un million de dollars alors que nous allons en récupérer 250 millions par la voie de la justice ? Et puis, dans cinq ans, nous parlerons du MP3 comme du 78 tours. Nous allons nous développer sur un format de qualité supérieure et qui sera en plus protégé". CQFD: pourquoi se casser la tête? nous avons le temps et le marché a tort.
- En fait, le plus gros crime de Napster et des autres sites Peer to Peer est de n'avoir pas été rentables: Napster aurait-il généré du profit avec son modèle, que les maisons de disques se le serait arraché à prix d'or: le problème de Napster ou Kaza, ce n'est pas le principe, c'est la gratuité. La preuve? Dixit Mr Nègre: " A propos de Napster, on met souvent l'aspect communautaire en avant mais c'est quoi le "business model" derrière? La publicité lors des téléchargements ? Quel mépris vis-à-vis des internautes (???ndr). On serait juste bon à être des panneaux publicitaires. Napster va fermer. Ils vont nous faire un gros chèque et ils vont se calmer, comme MP3.com". Bref, on leur reproche leur popularité parce qu'elle est gratuite. L'industrie du disque, en retard endémique sur le marché et sur ses consommateurs, en panne d'innovation et de business modèle adapté à la réalité, sort ses canons judiciaires pour faire taire la foule. Il y a gros à parier que c'est trop tard: on n'arrête pas le marché, surtout à coup de procédures. Peut être parviendront-ils à stopper les téléchargements à gros volume, mais il ne pourront jamais endiguer la multiplication des téléchargements à petits volumes, voire à quelques unités: la réalité du marché est là, ils ne l'ont pas vu venir. Or plus un marché va vite, plus le moindre retard coûte cher. Alors pensez! Un retard de plusieurs années….
4- LE RISQUE DE PERTE DE LÉGITIMITÉ DES MAISONS DE PRODUCTION
- A quoi sert une maison de production si un auteur peut mettre sa musique à la disposition des interprètes intéressés? Si un compositeur peut, en quelques heures construire une mélodie et la diffuser sur le web? Si des auditeurs peuvent écouter, voter, donner leur avis, compiler, comparer? C'est cela la réalité du web: elle se passe d'intermédiaires s'ils restent coincés dans des modèles d'un autre âge. Où se situe l'industrie du disque dans cette réalité? Y a-t-elle encore sa place?
- Le web est le royaume de l'intermédiation qui sait user de la dynamique des réseaux: il suffit de voir le succès de E-bay ou de Google, le chiffre d'affaires des modèles d'affiliation et de syndication, pour comprendre où se crée la réelle économie du web: dans la transaction entre membres consentants de multiples réseaux. La réussite de Google tient à l'incroyable mélange entre la gratuité pour le plus grand nombre en échange de pratiques payantes pour quelques uns. Cette dynamique phénoménale, à la vitesse de la lumière, échappe totalement à une industrie rétrograde, qui croit pouvoir dissimuler par la répression l'obsolence de ses business modèles. Peut être gagnera-t-elle quelques batailles juridiques, à l'issue encore incertaine.
Elle ne gagnera pas la guerre de la liberté d'échanger sur laquelle le libéralisme à l'américaine fonde pourtant l'essentiel de sa doctrine.
Garrett
Février 05
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NOUS SOMMES TOUS DES PIRATES
"Libérez l@ musique !"
"A l'heure où des dizaines d'internautes vont bientôt passer en jugement
pour avoir téléchargé des fichiers musicaux sur des logiciels P2P, nous
dénonçons cette politique répressive et disproportionnée, dont sont
victimes quelques boucs émissaires. Comme huit millions de français, au
moins, nous avons, nous aussi téléchargé un jour de la musique en ligne
et sommes donc des délinquants en puissance. Nous demandons l'arrêt de
ces poursuites absurdes. Nous proposons l'ouverture d'un large débat
public, impliquant le gouvernement, tous les acteurs de l'industrie
musicale, tous les artistes, afin de parvenir à une meilleure défense du droit d’auteur, mais aussi les consommateurs afin de trouver ensemble des réponses équitables et surtout adaptées à leur époque."
- Pour signer l'appel
LES PRINCIPAUX SIGNATAIRES
> Artistes, musiciens, professionnels de la musique…
Manu Chao
Nicolas Sirkis (Indochine)
Matthieu Chedid
Mickey 3D
Keren Ann
Jean Louis Aubert
Jeanne Cherhal
Tri Yann
Bénabar
Ceux qui marchent Debout
Tryo
Didier Lockwood
Dominique A
Yann Tiersen
Art Mengo
Debout sur le Zinc
Le peuple de l’Herbe
Magyd Cherfi (ex Zebda)
Khaled
Bams (hip, hop)
David Pouradier Duteil, artiste musicien
Sylvain Beuf (saxophoniste et compositeur)
Princesse Anies
Tony Bonfils, contrebassiste jazz
Laurent de Wilde, pianiste jazz, compositeur
Pascal Contet, musicien
Jean-Paul Bernard, musicien
Sinclair (musicien),
Didier Wampas (musicien)
Stefano Di Battista (saxophoniste de jazz)
Guillaume Damerval (artiste musicien, directeur de conservatoire)
Jean Charles Richard (artiste-interprète)
Bob Sinclar (Yellow Prod)
Bertrand Burgalat (musicien, patron du label Tricatel),
Nicolas Kantorowicz (DJ Sporto Kantes)
Hervé Roy, 61 ans, chef d'orchestre, arrangeur, compositeur
Jean-paul Bernard (musicien)
Jean Pierre Jussey (artiste-interprète musicien)
Pascal Contet (musicien)
Marie Ducate (artiste plasticienne, Marseille)
Cyril Huvé (pianiste, administrateur de la SPEDIDAM, 50 ans)
Massilia Sound System
Elista
Ez3kiel
Zenzile
Jarring Production (label indépendant)
SPEDIDAM (qui représente les artistes-interprètes dont le nom n'est pas mentionné sur l'étiquette des phonogrammes ou au générique des œuvres audiovisuelles)
SNAP (Syndicat national des artistes plasticiens)
Hélène Lequeux-Duchesne, 45 ans, Artiste Musicienne, pour le Syndicat National des Musiciens Force Ouvrière (membre du bureau de ce syndicat)
Olaf Hund (musicien, label Musiques Hybrides),
Arbion Guy, artiste musicien
Maestracci Hyacinthe artiste musicien
Maestracci Victor élève-musicien
Yvi Slan / 32 ans / musicien,
Félix Jousserand (Spoke Orkestra) 26 ans -Auteur/Interprète
Dauby Francine Chanteuse
Guillaume Lanneau, 34 ans, plasticien, responsable du SNAP (syndicat national des artistes plasticiens)
NOWAK François, Paris 62 ans
Le SAMUP (syndicat des artistes musiciens)
Humbert Olivier 25 ans professeur de musique
Alex Van Meggelen (auteur compositeur interprête)
Jànmi Hesse association mic mac, 38 ans
Eric Ménard, Canard Musique, Nantes
Umberto Germinale, photographe
Pierquin Laurent, 33 ans, auteur, compositeur et interprète.
Patrick Haour, rédacteur en chef du magazine Velvet
Antoine Casubolo, réalisateur, 47 ans
Franco Mannara, chanteur musicien 39 ANS
Pierre Bertrand, compositeur et chef d'orchestre
DJ Zebra (Oüi Fm)
Supernana (animatrice radio)
Smael Bouaici (Radio Nova)
Christophe Crénel (animateur Oui FM)
Marie Lecoq (Animatrice Oui FM)
Les Beautés vulgaires
Jérôme Zajdermann, Producteur associé chez Sotavento (longs métrages)
Gaël Jonnard (batteur du groupe La position du tireur couché)
Serge Duchesne (musicien)
Nelly Correa (animatrice Yvelines Radio)
Didier Porte (animateur Ouï FM)
Jeremy Johnson (musicien)
Peter Fondu (animateur Ouï FM)
Silvain Gire (responsable éditorial Arte Radio)
> Personnalités, associations, médias
Ségolène Royal député PS,
Christian Paul député PS,
Marie-Georges Buffet (secrétaire nationale du PCF)
Jose Bové
Didier Mathus député PS,
Dominique Voynet, sénateur, vert
Noel Mamère
Alain Krivine
Olivier Besancenot
Ariel Wizman (animateur),
Luz (dessinateur de presse)
Florent Latrive (journaliste Libération)
Philippe Manœuvre (Rock'n Folk)
Patrick Eudeline (écrivain, musicien)
Chloe Delaume (écrivain)
Laurence Peuron, Anne Lamotte, Ludovic Piedtenu (journalistes à la radio LE MOUV)
Olivier Cachin (red chef du magazine RADIKAL)
La rédaction de "Micro Hebdo", magazine hebdomadaire
Patrice Bardot, rédacteur en chef Trax/Cyber Press Publishing
Thomas Burgel, journaliste, Les Inrockuptibles
L'UFC Que choisir
L'association Consommation, Logement, Cadre de Vie (CLCV)
Eric Favey (secrétaire national de La Ligue de l'Enseignement)
Patrice Bardot, Trax/Cyber Press Publishing
Christophe Conte, journaliste, chef de rubrique aux Inrockuptibles
Frédéric Dutoit, député PCF des Bouches-du-Rhône, maire des 15ème et 16ème arrondissements de Marseille
Cécile Alvergnat, 60 ans, consultante, membre d'ACSEL, ex -membre de la CNIL,
Welger-Barboza Corinne Maitre de Conférences, Institut d'art et d'archéologie. Université Paris 1. Panthéon-Sorbonne.
Murielle Cahen, avocate spécialisée nouvelles technologies
Arnaud FRAISSE Rédacteur-En-Chef GrooveCyber Press Publishing
Jean Baptiste Soufron, juriste, (association des audionautes)
Collectif Réagissons, association ayant pour but la défense de la médiatisation de la scène alternative francophone
Le SNEA ( yndicat National des Enseignants et Artistes)
Aziz Ridouan, 16 ans, lycéen (Association des Audionautes)
Ramon Chao, père de Manu et journaliste à RFI
David Dufresne ( Journaliste et chroniqueur à I-télévision)
Pascal Bernard (photographe)
Douglas Buge ( Directeur Artistique)
Mathias Déon (agence Champs-Médias)
Guillaume Chazouillères (journaliste indépendant)
Fabrice Demessence ( Photographe)
Karine Thiboult ( journaliste)
Bernard Achour (journaliste)
Eric Engelhart (vidéaste)
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